Comment formuler des objectifs qui rendent intelligent ?
Jérôme Tougne |
Les objectifs ne devraient pas avoir pour but de mobiliser les collaborateurs mais de stimuler leur créativité.
( HBR France )Nous en avons tous fait l’expérience : certains objectifs rendent bête, nous inhibent, ou ont des effets néfastes sur notre niveau de stress, notre motivation et notre efficacité.Vous connaissez, bien sûr, les objectifs chiffrés hors d’atteinte, dont l’énoncé tombe comme une sanction : « Cette année, nous visons une croissance de 18%. » En renfort
de ce grand classique, il existe aussi des objectifs « technicisateurs », cumulant les abstractions et tout aussi inatteignables : « Notre objectif principal est d’atteindre l’excellence opérationnelle, grâce à notre démarche de qualité totale. » A une échelle plus locale interviennent les objectifs qui poussent à l’individualisme : « Chacun d’entre vous sera évalué en fonction du nombre de rendez-vous commerciaux réalisés. » Encore plus proche du quotidien des opérations, la famille des objectifs de micromanagement fait son apparition : « Vous devez poser ces neuf questions lors de vos entretiens commerciaux. En trente minutes maximum. »
Tous ces objectifs sont formulés pour s’assurer que les équipes sont mobilisées et que leurs efforts sont correctement orientés. Mais, dans la plupart des cas, ces objectifs engendrent du stress, de la démotivation, voire de l’exaspération. Ils coupent court à tout débat qui permettrait leur appropriation. Dans certains cas, ils génèrent même des comportements qui vont à l’encontre de l’intérêt collectif. Une chose est sûre : ils n’aident pas à donner le meilleur de soi-même. Au contraire, ils engendrent défiance, sentiment d’impuissance et/ou déresponsabilisation.
Stimuler l’ingéniosité
Dans des environnements toujours plus complexes, les entreprises qui s’en sortent sont celles au sein desquelles les équipes réussissent à être intelligentes, créatives et ingénieuses. C’est pourquoi la raison d’être d’un objectif ne devrait pas être de mobiliser (vos collaborateurs ne sont pas fainéants) mais de stimuler l’ingéniosité, de rendre intelligent au profit de l’organisation.Imaginez-vous manager d’une équipe d’ingénieurs dans une entreprise de développement de logiciels. Vous missionnez trois développeurs pour améliorer l’interface d’une partie de votre logiciel phare. Ce groupe dispose d’un mois pour produire un premier prototype visant à répondre à une critique récurrente des utilisateurs : l’interface n’est pas assez intuitive. Quel objectif fixez-vous à ce groupe ? Vous pouvez lui fixer un objectif chiffré : « La production du prototype doit respecter une enveloppe de trente jours de développement. » Vous pouvez aussi vous appuyer sur des objectifs de micromanagement : « Passez de cinq à trois clics pour telle fonctionnalité. »
Dans l’entreprise que nous avons en tête, les managers s’y prennent différemment. Ils considèrent que leur rôle est de fournir des objectifs qui rendent intelligent et créatif. Ils considèrent également qu’ils doivent inciter leur équipe à discuter les objectifs, et idéalement à leur trouver une alternative plus adaptée : « Votre objectif est de produire un prototype qui plaise à vos collègues. Ils doivent même être surpris par votre prototype. Vous saurez que vous avez atteint votre objectif si vos collègues ont envie de s’inspirer de votre prototype pour leurs propres développements. Pour cela, vous devez respecter une seule contrainte : trente jours de développement maximum. Voyez-vous une manière plus stimulante de formuler cet objectif ? Quelles difficultés anticipez-vous ? De quel soutien aurez-vous besoin ? »
Responsabiliser les équipes
L’objectif ci-dessus, comme tous les objectifs qui rendent intelligent, n’est certainement pas « Smart » au sens du célèbre acronyme (spécifique, mesurable, atteignable, réaliste, temporel). Il possède trois caractéristiques bien plus précieuses pour responsabiliser et stimuler l’intelligence des équipes :1. Sa formulation décrit un effet à produire, qui comporte une dimension émotionnelle, directement observable chez des utilisateurs ou des clients ;
2. Sa formulation ne ferme aucune porte : elle ne décrit aucun cadre, ne suggère aucune marche à suivre et ne s’appuie sur aucun chiffre. Le cadre et les chiffres restent fondamentaux, mais ils ont le statut de contraintes à respecter dans l’atteinte de l’objectif, et jamais d’objectif en tant que tel ;
3. Il fait l’objet d’un débat avec l’équipe : il est ajusté afin de trouver la formulation la plus efficace, les difficultés et les risques sont identifiés, et le soutien du manager est calibré en fonction.
En procédant de la sorte, les managers rendent le travail passionnant. Les objectifs conçus pour mobiliser deviennent inutiles. Les équipes responsabilisées n’ont pas besoin de carottes ni de bâtons pour être motivées . Elles y parviennent très bien par elles-mêmes.
Jérôme Tougne est Docteur en psychologie de la performance et
directeur associé du cabinet Stimulus, il pilote les activités de
conseil en matière de qualité de vie au travail. Ancien chercheur au
laboratoire de psychologie appliquée au stress à l’université de Reims,
il est aussi enseignant à l’université Paris-Dauphine, en collaboration
avec l’Agence […]
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