Chargé de réformer l’Union Africaine, le chef de l’État rwandais Paul Kagame prend la tête de l’institution. Et applique sa méthode.
(Jeune Afrique) Il suscite l’admiration autant qu’il agace. À Addis-Abeba, dans les coulisses du 30e sommet de l’Union africaine
(28-29 janvier), l’arrivée du président rwandais à la tête de
l’institution suscitait nombre de commentaires avant même qu’il ne
prenne officiellement ses fonctions.
La « méthode Kagame » est au cœur de l’UA depuis ce mois de juillet 2016 où ses pairs l’ont désigné pour mener à bien les réformes que chacun appelle de ses vœux. Il aurait suffi,
dit-on, qu’Idriss Déby Itno,
à l’époque président en exercice, prononce son nom lors d’une réunion à
Kigali, en marge du 27e sommet, pour qu’il fasse aussitôt l’unanimité.
Il est vrai qu’en un peu moins de vingt-cinq ans l’ancien
chef militaire a hissé son pays au rang des bons élèves en matière de
gestion et de gouvernance. Le bilan est moins flatteur en ce qui
concerne les libertés, l’ouverture démocratique et l’alternance
politique, mais il n’a cure des critiques et, à l’UA, ces questions ne
sont pas au centre des préoccupations.
Kagame ? « Un grand homme » qu’on ne peut connaître qu’en
allant « se balader dans les rues toutes propres de Kigali »,
s’enthousiasme un diplomate d’Afrique du Nord. « Chez nous, les
résultats sont visibles. Logiquement, les membres de l’UA se sont dit
que ce qu’il avait fait au Rwanda, il pouvait le faire sur le
continent », affirme sans surprise Olivier Nduhungirehe, secrétaire d’État au ministère rwandais des Affaires étrangères.
Un comité de pilotage au travail
Le dépoussiérage de l’UA a déjà commencé. Kagame a immédiatement mis sur pied un comité de pilotage.
On y trouve son compatriote Donald Kaberuka, ancien ministre et
ex-patron de la BAD, l’économiste camerounais Acha Leke et Carlos Lopes,
qui fut secrétaire général de la commission économique pour l’Afrique
des Nations unies.
Aucune des neuf personnalités de ce groupe d’experts n’est
issue de l’Afrique du Nord, alors que l’organisation panafricaine a
coutume de respecter un certain équilibre régional.« Le président Kagame
n’a pas voulu ostraciser qui que ce soit, mais cette notion n’a pas été
sa préoccupation première. L’essentiel, pour lui, c’est que le comité
soit efficace », explique son entourage.
[Paul Kagame] ne supporte pas l’idée qu’un dossier s’enlise
Pour s’en assurer, il réunit ses troupes chaque mois :
parfois à l’occasion d’une réunion internationale (comme à la dernière
Assemblée générale des Nations unies), à chaque sommet de l’UA (comme le
27 janvier à Addis), ou à Kigali, comme il y a trois semaines. Ces
« débriefings » se déroulent toujours sur « convocation » du chef et
durent six à huit heures, durant lesquelles tous les points de sa
réforme sont abordés.
Les blocages sont évoqués, des solutions proposées.
Lorsqu’il l’estime nécessaire, Paul Kagame n’hésite pas à intervenir
lui-même auprès de ses homologues. À chaque sommet, Moussa Faki Mahamat, le président de la commission, se joint à la réunion.
Paul Kagame est donc fidèle à sa réputation. S’il n’a pas
fait signer au personnel un « contrat de performance », comme il l’a
fait au Rwanda avec tous les fonctionnaires, il ne supporte pas l’idée
qu’un dossier s’enlise. On le dit pourtant « flexible » tant qu’une
proposition qui « tient la route » est avancée.
Court-circuités
Afin d’accélérer l’adoption de certains points spécifiques,
il a aussi instauré une nouvelle méthode. Plutôt que d’attendre les
sommets, où sont d’abord consultés les représentants permanents, puis le
conseil exécutif et enfin les chefs d’État, le président rwandais
organise des séminaires avec ses pairs, au cours desquels des mesures
sont symboliquement adoptées.
Le 7 janvier, il leur a fait parvenir une mise à jour du
dossier, en leur demandant de le soutenir lors du sommet d’Addis. Il lui
arrive aussi de dépêcher dans les capitales Louise Mushikiwabo, sa ministre des Affaires étrangères.
Les lourdeurs administratives de l’UA lui déplaisent.
Résultat : certains représentants permanents ne cachent plus leur
irritation d’être ainsi court-circuités. Mais c’est aussi, pour lui, une
manière de maîtriser la communication. En limitant le nombre de
documents en circulation, il évite les fuites et se met à l’abri des
pressions.
"Il ne veut pas d’une présidence de routine, il veut être performant"
Sa présidence de l’UA sera-t-elle du même acabit ? Dans
l’entourage de Moussa Faki Mahamat, on minimise : « Cette élection est
cérémonielle. Comme tous ses prédécesseurs, il n’aura pas de bureau à
l’UA. Il n’y a eu aucune préparation particulière. »
Côté rwandais, le son de cloche est forcément différent :
« Il ne veut pas d’une présidence de routine, il veut être performant. »
Et du côté des diplomates : « Nous avons confiance en lui, l’UA a
besoin d’être dynamisée. »
Loin d’être isolé
Au sein de l’hémicycle, Kagame pourra compter sur le soutien de plusieurs de ses homologues : Hailemariam Desalegn,
le Premier ministre éthiopien (les liens avec l’Éthiopie remontent à
l’époque où le Front patriotique rwandais était dans le maquis), Ali
Bongo Ondimba et Faure Gnassingbé.
Ses relations sont bonnes avec Macky Sall et Alpha Condé, pragmatiques avec Joseph Kabila. Quant à l’arrivée de João Lourenço à la tête de l’Angola, elle a visiblement réchauffé les relations entre Kigali et Luanda.
Par Michael Pauron
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