La hausse du PIB africain est-elle vraiment le signe d'un réel développement du continent ?
Propos recueillis par Damien Durand, Atlantico, 06-06-2013
Célestin Monga |
La croissance sur le continent africain pour l'année 2012 affiche de solides performances. Ces données encourageantes d'un continent au potentiel encore important masquent cependant difficilement le retard encore abyssal de l'Afrique.
Célestin Monga est un économiste camerounais,
actuellement conseiller-directeur à la Banque mondiale. Il est également
directeur de l'ouvrage de référence L'Afrique et la science économique à paraître aux éditions Oxford University Press.
Atlantico : Le PIB africain est en constante augmentation
(4,8% en moyenne pour 2012). Cette donnée macroéconomique – en principe
positive – est-elle le signe d'un réel rattrapage en termes de niveau
de vie, au moins entre l'Afrique et les autres grands pays émergents
d'Asie par exemple ?
Célestin Monga : John Kenneth Galbraith disait qu’il faut se méfier du PIB, qui mesure uniquement les transactions marchandes et qui ne sont pas forcément les plus importantes. Il notait ainsi que les services payants et les revenus taxés d’une prostituée sont inclus du au PIB alors que l’amour gratuit d’une épouse ou maîtresse aimante et aimée en est exclu… Ceci dit, les chiffres positifs de l’économie africaine traduisent une remarquable amélioration. Il a fallu 140 ans aux États-Unis et à la Grande-Bretagne pour doubler leur PIB après la Révolution Industrielle. Il n’en aura fallu que 10 à la Chine et à l’Afrique. La roue de l’Histoire tourne de plus en plus vite : la globalisation et les développements technologiques stimulent les opportunités de croissance. L’Afrique pourrait croître encore plus rapidement si elle avait l’humilité de tirer les leçons des expériences d’autres régions du monde. Chaque pays devrait par exemple identifier les secteurs et industries dans lesquels il a un avantage comparatif et consacrer ses ressources financières et administratives limitées à en faciliter le développement. Cette stratégie pragmatique serait bien plus payante que celle du laissez-faire actuel, qui consiste soit à essayer de tout faire et de ne rien faire convenable, soit à se croiser les bras en espérant que des industries compétitives se développeront comme par magie. La croissance économique n’est jamais une génération spontanée.
Cette
croissance soutenue est-elle équitablement répartie ou simplement tirée
par quelques champions continentaux ? L'Afrique ne risque-t-elle pas de
devenir le continent des grandes inégalités entre quelques pays
dynamiques (l'Afrique du Sud, le Nigéria, le Ghana...) et le reste d'un
territoire largement à la traîne ?
Une croissance
dynamique et soutenue n’est jamais le fait de tous les territoires en
même temps, pas même à l'intérieur d'un seul pays. D’où la nécessité de
mécanismes internes de solidarité, et de règles d’intégration telles que
la libre circulation des biens et des personnes. Sinon, l’on aboutit
fatalement à des situations comme celle observée ces jours-ci en Europe
et rapportée par la presse : les autorités italiennes n'ont pas hésité à
donner de l'argent et des papiers à des réfugiés et à des personnes
pauvres et encombrantes pour qu'ils quittent le pays vers l'Allemagne.
Comme on le dit en Afrique pour marquer son incrédulité : qui est fou ?
Parmi
les pays qui ont la plus forte croissance, les fruits de ce dynamisme
profitent-ils à la majorité de la population ? Comment arrive-t-on à le
constater sur le terrain ? De quels maux issus de la pauvreté l'Afrique
s'est-elle débarrassée ces dernières années ?
L’Afrique,
c’est 54 pays différents. Évitons donc les amalgames et les
généralisations abusives. Certains pays comme la Tanzanie, le Mozambique
ou la Zambie, qui sont parmi les plus performants au monde, ne sont pas
parvenus à faire baisser leurs taux de pauvreté. Mais d’autres comme le
Ghana ou le Rwanda y parviennent. Une grande question est celle des
autres dimensions de la pauvreté, qui devrait inclure à mon humble avis
les droits civiques et politiques des citoyens.
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