La solution au développement en Afrique viendra de l’intérieur
Kanayo F. Nwanze, Président du Fonds international de développement agricole des Nations Unies
Pourquoi les jeunes Africains quittent-ils une terre qui offre tant de perspectives ?
La mer Méditerranée est devenue un cimetière pour la jeunesse
africaine. Nous voyons chaque jour des images d’un continent qui semble
dévasté par les conflits et la pauvreté, et d’êtres humains qui risquent
–
et souvent perdent – leur vie en tentant de fuir. Et cependant, onze
des 20 économies dont la croissance est la plus rapide au monde se
trouvent en Afrique. Ce continent, dont les ressources sont
considérables, possède près de la moitié des terres qui, à l’échelle
mondiale, ne sont pas cultivées mais sont adaptées aux cultures
vivrières. Alors, pourquoi sont-ils si nombreux à risquer leur vie pour
fuir une terre qui offre tant de perspectives ?
En partie car, souvent, les nombreuses richesses que possède
l’Afrique ne se traduisent pas en développement, ne profitant en général
qu’à certains ou étant entièrement dilapidées. En 2014, les flux
illicites provenant d’Afrique s’élevaient au total à 69 milliards de
dollars. Le développement suppose bien davantage que des ressources
financières.
"Il est des choses que l’argent ne peut acheter."
Il ne fait aucun doute que l’argent peut remédier à certaines des
insuffisances qui piègent des millions d’individus, en particulier les
populations rurales, dans la pauvreté. Ces populations ont besoin
d’infrastructures, à commencer par des routes qui leur permettront de se
rendre à l’école ou au marché, mais aussi des systèmes
d’électrification, d’eau et d’assainissement. Elles ont besoin
d’éducation, de soins de santé, de salaires décents et d’un accès aux
financements.
Mais il est des choses que l’argent ne peut acheter. L’encadrement,
la bonne gouvernance, l’engagement en faveur de l’état de droit, et un
environnement susceptible d’attirer les investissements. La
responsabilité sociale de verser des salaires équitables, de créer des
emplois décents et de payer des impôts.
La troisième Conférence internationale sur le financement du
développement, qui se tiendra prochainement à Addis-Abeba, en Éthiopie,
constitue une étape sur la voie que les dirigeants mondiaux ont tracé
vers l’instauration d’un nouveau consensus international afin de changer
le monde dans lequel nous vivons et d’éliminer l’extrême pauvreté et la
faim. Nous devons encore parfaire le programme pour l’après-2015 et les
objectifs de développement durable (ODD) ainsi qu’un nouvel accord
mondial sur le changement climatique. Les objectifs sont essentiels pour
notre avenir commun. Cependant, faute d’un solide consensus sur les
besoins en termes de financement et de ressources, les objectifs restent
à l’état de simples souhaits.
Mais ce n’est pas juste une question d’argent, encore moins d’aide au
sens classique du terme. La solution pour parvenir à un futur pour
toujours libéré de la pauvreté et de la faim, ce sont les personnes.
Pour voir cela, il suffira aux dirigeants mondiaux rassemblés à
Addis-Abeba d’observer le continent où ils se trouvent réunis.
"Les trois quarts des personnes qui, dans le monde, souffrent de pauvreté et de faim chronique vivent en milieu rural."
L’Afrique est riche. Les revenus dérivant de ses industries
extractives se chiffrent en centaines de milliards de dollars. Mais
c’est dans les pays d’Afrique les plus riches en ressources que les taux
de mortalité infantile sont les plus élevés au monde, dépassant 100
décès pour 1 000 naissances vivantes dans une douzaine d’entre eux. Ce
paradoxe montre bien que le développement exige également des ressources
autres que financières, à commencer par l’encadrement, la
responsabilité et l’engagement.
Les trois quarts des personnes qui, dans le monde, souffrent de
pauvreté et de faim chronique vivent en milieu rural et tirent
essentiellement leurs moyens de subsistance de l’agriculture. Les petits
exploitants et les entrepreneurs ruraux pourraient concourir bien
davantage à la production alimentaire, à la création d’emplois, à la
croissance économique nationale et à la protection des ressources
naturelles, mais ils manquent bien souvent des outils nécessaires pour
ce faire. Et nombre de ceux qui produisent des denrées alimentaires
souffrent eux-mêmes de la faim.
Pour pouvoir atteindre toute une série d’objectifs de développement –
nourriture en quantité suffisante, air pur, eau potable et
biodiversité, notamment –, il est impératif d’investir en faveur du
développement rural. Et l’on estime que, s’agissant de réduire la
pauvreté, la croissance du secteur rural est au moins trois fois – onze
fois en Afrique subsaharienne – plus efficace que celle d’autres
secteurs.
"L’Éthiopie, pays autrefois synonyme de famine, figure désormais parmi les économies africaines dont la croissance est la plus rapide."
Le changement doit venir de l’intérieur. Une organisation comme celle
que je dirige, le Fonds international de développement agricole, offre
son appui. Nous investissons. Nous partageons savoirs et meilleures
pratiques. En notre qualité de seule institution financière
internationale au sein du système des Nations unies, nous sommes des
acteurs engagés en faveur de la transformation du monde rural. Mais il
n’en demeure pas moins qu’aucune institution donatrice ne peut
transformer les pays si ceux-ci ne souhaitent pas se transformer
eux-mêmes.
L’Éthiopie, pays autrefois synonyme de famine, figure désormais parmi
les économies africaines dont la croissance est la plus rapide. Grâce
aux investissements en faveur des infrastructures rurales et de la
transformation de l’agriculture, il a été possible de faire ce qu’aucune
aide, de quelque importance que ce soit, ne serait parvenue à faire.
L’Éthiopie est le premier pays d’Afrique exportateur de miel, et il
arrive en deuxième position pour ce qui est de l’horticulture.
Alors, n’oublions pas que l’on ne mesure pas tous les engagements en
dollars. En effet, pour nous sauver nous-mêmes et pour sauver notre
avenir et notre planète, nous avons besoin de ressources importantes,
tant publiques que privées. Mais nous avons également besoin que
gouverneurs, législateurs, investisseurs, entrepreneurs et partenaires
de tous genres s’engagent en faveur d’investissements équitables et sans
exclusive. Et ce pas seulement en Afrique. L’Accord d’Addis-Abeba nous
offre l’occasion de ne pas nous contenter de compter l’argent mais de
veiller à ce que celui-ci fasse la différence.
Commentaires
Enregistrer un commentaire