Commerce intra-africain: comprendre la zone de libre-échange

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Luc Magloire Mbarga Atangana
(Cameroon Tribune) Ce projet qui a abouti mercredi dernier à Kigali, à la faveur de la signature de son protocole de création par une quarantaine de pays revêt une grande importance pour le continent.
La décision de création de la Zone de libre échange continentale Africaine remonte à la 18e session de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine tenue en janvier 2012 à Addis Abeba.
Quatre ans plus tard, les ministres en charge du commerce
ont commencé les négociations, qui ont abouti, le 21 mars dernier, à la signature, par 44 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, de l’Accord cadre créant la Zone de libre-échange continentale.
Selon Luc Magloire Mbarga Atangana, ministre du commerce, les projets négociés par les ministres et soumis à la signature des chefs d’Etat et de gouvernement se décomposent en quatre textes distincts : l’Accord cadre proprement dit, le Protocole sur le commerce des services, ainsi que le Protocole sur le commerce des marchandises et ses annexes, qui intègrent des matières comme les règles d’origine, la facilitation du commerce, la facilitation du transit, les barrières non tarifaires, les obstacles techniques au commerce, les mesures sanitaires et phytosanitaires et les mesures correctives commerciales.
Le dernier texte a trait au protocole sur les règles et procédures sur le règlement des différends. D’après le Mincommerce, il est prévu, dans une phase ultérieure, l’extension des négociations à trois disciplines nouvelles, en l’occurrence les investissements, les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce et la politique en matière de concurrence.
Il faut également dire que les produits et services objet de l’Accord sont répartis en trois catégories. « La première comprend 90 % des lignes tarifaires, qui doivent être libéralisées sur une période de cinq ans, exception faite des Pays moins avancés qui disposent d’une période de dix ans », explique le Mincommerce.
Quant à la seconde catégorie, elle intègre une liste de produits dits sensibles, dont le calendrier de libéralisation porte sur dix ans, à l’exclusion des Pays moins avancés pour lesquels il est consenti une période de treize ans.
La dernière catégorie a trait aux produits exclus de la libéralisation. Pour mémoire l'accord de Kigali ne peut entrer en vigueur que dans au moins 180 jours, mais pas avant d’avoir été ratifié à l'échelle nationale par au moins 22 pays parmi les signataires .

« Il nous revient de savoir nous vendre »

Luc Magloire Mbarga Atangana, ministre du Commerce.

Au terme du dernier sommet extraordinaire de l’Union africaine, le Cameroun a signé un seul des trois documents présentés, en l’occurrence le Protocole d’établissement. Pourquoi notre pays n’a-t-il pas signé la Déclaration de Kigali et le Protocole de libre circulation ?
Comme vous l’avez-vous-même relevé, il s’agissait d’une session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, consacrée à la création de la Zone de libre-échange continentale. Les documents y relatifs ont bel et bien été signés par le Cameroun. Je relève par ailleurs, en ce qui concerne la Déclaration de Kigali, qu’il ne s’agit en aucun cas d’un quelconque instrument juridique, c’est-à-dire, d’un acte qui a une valeur contraignante vis-à-vis des Etats membres de l’Union africaine. Quant au Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement, cette question n’était point à l’ordre du jour de la Session de Kigali. Au demeurant, en dehors du Cameroun, de nombreux autres Etats ne l’ont pas signé.

Que gagnera le Cameroun à faire partie de la Zone de libre-échange continentale ?
Sans doute, devrais-je vous renvoyer aux sources du multilatéralisme commercial, en l’occurrence le Kennedy Round, qui posait déjà le principe selon lequel le développement des Etats passe par la promotion du commerce et des échanges. Cette réalité reste inaltérable. Imaginez un seul instant ce que représente un marché de 1,2 milliard de consommateurs, ouvert, sans entraves ni contingences tarifaires et quantitatives pour nos créateurs de richesses, nos agriculteurs et nos industriels. C’est une aubaine à condition naturellement que nous sachions la saisir, en nous mettant résolument au travail pour produire et être à même de satisfaire, qualitativement et quantitativement, un marché d’une telle importance, le troisième en rang, au niveau mondial, après la Chine et l’Inde. Et c’est en toute logique que certains ont mis en avant, concernant notre Zone de libre- échange continentale, le concept du « Produire pour l’Afrique, Consommer africain », une autre déclinaison de la haute prescription du chef de l’Etat dans son discours fondateur du Comice agro-pastoral d’Ebolowa, lorsqu’il demandait aux Camerounais de produire ce qu’ils consomment et de consommer ce qu’ils produisent. Le chef de l’Etat se présentait ainsi en précurseur d’un marché africain intégré. La Zone de libre -échange continentale africaine devrait, judicieusement exploitée, se traduire par la création, à profusion, de très nombreux emplois nobles et rémunérateurs pour notre jeunesse, l’éloignant ainsi de la tentation suicidaire du mirage de l’émigration.

Quand on parle de libre échange, on voit suppression des droits de douane. N’est-ce pas un plomb dans l’aile du Cameroun ?
Je vous le concèderais volontiers. Mais, c’est une façon de voir aujourd’hui éculée. Votre question renvoie, de ce point de vue, à la fameuse querelle des anciens et des modernes, c’est-à-dire, dans le cas d’espèce, au débat désormais tranché entre la fiscalité de porte et la fiscalité intérieure. Les exemples récents démontrent en effet à souhait que le développement des Etats modernes est tributaire, de beaucoup, de la diversification des ressources générées en interne par la dynamique de l’activité économique et non par les droits de douane qui, dans le cas des pays considérés comme des Success Stories, représentent désormais moins de 5 % des recettes budgétaires.
Nos entreprises sont-elles prêtes ?  Le made in Cameroon, en dehors des matières premières, est-il assez compétitif pour faire face aux géants d’Afrique ?
Détrompez-vous. Le label Cameroun, pour ce qui est à tout le moins de certains produits, se comporte plutôt bien, sinon très bien dans nombre de marchés de la sous-région, pour ne pas dire du Continent. Je ne prendrai pour exemple que notre café, notre thé, notre banane, notre poivre, nos huiles raffinées, notre savon, nos produits brassicoles, notre ciment, notre tôle de couverture et d’autres produits manufacturés ou semi-finis. La Zone de libreéchange continentale, parce qu’elle constitue une assurance d’un marché vaste, est de nature à accentuer et à accélérer le processus d’industrialisation de notre économie et à attirer dans notre pays, au regard de son potentiel, un flux important d’investissements directs étrangers, à la recherche des opportunités de marché. Il nous revient de savoir « nous vendre », de mieux « nous vendre ».

Après les Accords de partenariat économique avec l’Union européenne, comment le Cameroun comptet- il tirer son épingle du jeu ?
Il s’agit d’une addition et non d’une soustraction d’opportunités. La Zone de libre-échange continentale africaine est une corde de plus à notre arc, dans notre marche vers l’émergence. Elle vient en effet, avec son potentiel de 1,2 milliard de consommateurs, s’ajouter aux 500 millions de consommateurs du marché européen, qui nous est déjà ouvert au travers de la mise en oeuvre de l’Accord de Partenariat Economique (APE). Il s’agit simplement de tirer avantage de ces marchés en produisant plus et mieux et en développant nos exportations, aussi bien en termes de marchandises que de services, vers ces espaces qui doivent désormais être considérés comme notre marché intérieur, dans la mesure où nos produits et services y bénéficient d’un accès libre, sans entrave douanière ni restrictions quantitatives.
 Jocelyne NDOUYOU-MOULIOM

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