Afrique-Europe : le prix de la refondation
Marie Claire NNana |
Au lendemain du Sommet Afrique-Union européenne à Bruxelles, le 4e du
genre, qui a choisi de focaliser la réflexion sur les défis
sécuritaires, dans l’optique « d’investir sur les personnes » selon le
thème de la rencontre,
il est bon de revisiter les ressorts de ce vieux couple qui a survécu à
bien des tragédies (esclavage, colonisation, indépendances en
trompe-l’œil) et surmonté quelques trahisons : la préférence de l’Europe
pour sa moitié Est, à la faveur de l’écroulement du mur de Berlin, et
les liaisons de l’Afrique avec la Chine, jugées sulfureuses par
l’Europe, mais dont aucun Africain ne doute plus du bien fondé.
Puisqu’elles ont transformé radicalement l’Afrique, et le regard sur
l’Afrique.
Afrique-Europe. Au-delà des contingences historiques, cela reste
somme toute une relation utile, disons-le d’emblée. Pour sortir du
ghetto de la pauvreté, l’Afrique a besoin de partenaires engagés, sûrs,
prêts à partager avec elle leur expérience, leur expertise, leurs
technologies, prêts à investir dans l’immense potentiel du continent,
non plus dans un esprit de prédation et d’exploitation sauvage, mais
dans une vision de prospérité partagée.
Toutes les conditions sont-elles aujourd’hui réunies pour que le
couple Europe-Afrique s’inscrive dans une nouvelle vision, plus
pragmatique, sans complexes et sans préjugés, qui postule enfin que
l’Afrique n’est plus un comptoir colonial, mais une terre de
possibilités convoitée par beaucoup, tandis que l’Europe n’est plus son
tuteur, mais un partenaire stratégique, un allié.
Côté africain, malgré les professions de foi déclamées à Bruxelles
sur le renouveau de cette relation, on est encore loin de ce cadre
idyllique. Ne serait-ce que parce qu’on présente face au partenaire
européen, non pas une institution, mais des Afriques aux egos
surdimensionnés, qui ne parlent presque jamais d’une même voix.
A la vérité, l’impossibilité d’impulser des échanges économiques plus
vigoureux à l’intérieur du continent, d’ouvrir les frontières et les
barrières douanières, ne serait-ce que dans le cadre des grands blocs
sous-régionaux existants, l’incapacité de faire fonctionner efficacement
les unions économiques et monétaires, l’harmonisation à pas de tortue
des lois et règlements pour créer un environnement juridique commun,
constituent incontestablement une grande faiblesse pour l’Afrique. Face à
une Europe intégrée depuis longtemps, qui a ses querelles intestines,
mais qui sait parler d’une voix pour défendre ses intérêts, l’Afrique ne
fait pas le poids et ne peut rêver dans ces conditions ni d’infléchir
quelque décision que ce soit, ni de réorienter la relation.
Bien plus, l’analyse des Africains sur cette relation avec l’Europe
souffre trop souvent encore d’angélisme. Privilégiant les relations
interpersonnelles entre dirigeants des deux bords, mais aussi les liens
historiques et tous les bons sentiments qu’ils charrient, ils «
oublient » qu’étant en position de courtisée face aux courtisans, ils
peuvent fixer les règles de ce nouveau partenariat ou tout au moins les
limites. S’ils savent construire de vraies démocraties où l’intérêt
général prime, et où la transparence de gouvernement est établie. Côté
Europe, peut-être gagnerait-on à être plus clair sur ses intentions et à
ne pas toujours couvrir d’un voile pudique le désir légitime de rejouer
en Afrique les premiers rôles. Le week-end dernier à Bruxelles, le
vice-président de la Commission européenne était bien le seul à appeler
le chat par son nom, lors d’une interview accordée à une chaîne de
télévision africaine : « l’Afrique parle les mêmes langues que nous.
Nous n’allons pas la laisser aux mains de la Chine ! » Soit. Mais
l’Europe est-elle prête à refonder ce partenariat ? Trop souvent, le
dialogue avec l’Afrique est souvent parasitée par une obsession
missionnaire, qui tente régulièrement d’imposer « les droits de
l’hommisme » et l’homosexualité aux Africains, y compris en en faisant
une conditionnalité de l’aide au développement…
Solder le passé, c’est affronter ses fantômes. A la première
rencontre entre les deux continents, les Européens furent tout près de
claquer la porte, parce qu’ils ne supportaient pas que les Africains
évoquent deux sujets qui fâchent : le dédommagement pour les décennies
d’exploitation coloniale, et le retour en Afrique des monuments
culturels « volés »…
Certes, l’Afrique est revenue sur cette double exigence, mais
l’Europe est-elle prête à regarder sans ciller les nouveaux spectres qui
hantent le présent, tels que les conditions d’équité des accords de
partenariat économique, le transfert des technologies, la création d’une
monnaie (ou de plusieurs) africaine, la compétitivité des entreprises
et technologies européennes face à celles de l’Est asiatique, pour
assurer à moindre coût le développement de l’Afrique ?En un mot comme en cent, il est primordial que les mentalités évoluent, de part et d’autre de la Méditerranée. Car si l’Europe a changé, l’Afrique n’est pas restée non plus la même. Les nouvelles élites du continent noir, qui sont de plus en plus formées sur place, mais aussi en Amérique du Nord et en Asie, sont de plus en plus attentives à la place et à la considération qui sont données à l’Afrique, dans un monde où elle pense avoir toute sa place. Elles savent que l’Afrique est à la croisée des chemins, que malgré la croissance économique en hausse, il subsiste d’énormes poches de pauvreté et des inégalités criantes. Dans ce contexte, elle a besoin de financements, de brevets, et de partenaires au développement dont la qualité déterminera le sort de son combat contre la pauvreté.
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