Du collaborateur à l’entrepreneur : les dangers du workaholism
(salonsme) « La vie n’est pas le travail, travailler sans cesse rend fou.
» Cette phrase extraite des mémoires du Général de Gaulle est toujours
criante d’actualité, d’autant plus dans nos sociétés où les limites
entre vie professionnelle et vie personnelle ont tendance à être de plus
en plus floues. À l’heure du stress à outrance et du burn-out, le workaholism est plus qu’une tendance à combattre, c’est une mentalité
à faire évoluer. Comment faire en entreprise pour changer la donne ? Et surtout, comment les entrepreneurs, ces premiers « boulomanes », peuvent-ils faire pour éviter les écueils physiques et mentaux de la surcharge ? Dilemme.
Qui sont les boulomanes ?
On les appelle des boulomanes ou encore des bourreaux de travail. Ils
passent 12 heures par jour au bureau. Ils sont les premiers arrivés et
les derniers partis. Répondant présents au diktat du présentéisme
français, ils se dopent à la réunion, aux projets tous azimuts, aux
mails envoyés le dimanche à 9 heure ou encore aux présentations
réalisées pendant les vacances. Pour ces dépendants, les week-ends n’ont
que peu d’importance. L’essentiel de leur vie se passe en entreprise,
au détriment bien souvent des conjoints et de la vie de famille.
Le pire dans leur situation, c’est que dans notre société
(française), il est plutôt bien vu d’être un workaholic, un accro du
travail. Cette addiction comportementale a plutôt bonne presse. Et pour
cause ! Dans une société où il faut se faire bien voir de son manager en
dépassant largement les 35 ou 40 heures, dans une société où le
smartphone est devenu le prolongement du bureau, ou encore dans une
société où l’on se définit souvent par le poste que l’on occupe au sein
d’une entreprise, être un bourreau de travail fait partie des points
forts à mettre en avant en recrutement RH.
Workaholism, quand cela se complique
Alors pourquoi cela coince au final ? Pourquoi est-ce dangereux de
devenir addict du travail ? C’est un peu comme pour tout dans la vie, il
faut de la mesure. Le premier risque pour le boulomane est
l’épuisement. À force de trop se presser comme un citron, au bout d’un
moment, il n’y a plus de jus. Cela engendre alors un syndrome
d’épuisement professionnel, ce bien connu burn-out. D’un point de vue
personnel, les workaholics ont aussi bien du souci à se faire. En
mettant leurs proches de côté, ces derniers finissent par faire leur vie
sans eux signant ainsi le glas de leur vie de famille. Les risques sont
aussi ceux de la dépression, du stress et de toutes les maladies liées
au surmenage, telles que tension, problèmes cardiaques, etc.
Les Japonais, chez qui la culture du travail est beaucoup plus
exacerbée qu’en France, ont même un mot pour désigner la mort au
travail. Ils parlent de karōshi.
Dans un pays où le travail est érigé comme un absolu et où les
pratiques managériales sont oppressantes, il n’est malheureusement pas
rare de retrouver des personnes ayant succombé à l’épuisement sur place.
La « mort par surtravail » y est d’ailleurs reconnue comme une maladie
professionnelle depuis les années 1970. En France en revanche,
l’addiction au travail n’est pas (encore) reconnue comme un trouble
mental. Toutefois, nul besoin d’arriver aux extrêmes nippons pour
prendre la juste mesure des choses.
La responsabilité de l’entreprise en jeu ?
Qui veut aller loin, ménage sa monture. Cet adage vaut aussi dans le
travail. Rien ne sert de s’épuiser et d’épuiser ses collaborateurs pour
arriver à bon port et faire fructifier le chiffre d’affaires de
l’entreprise. Bien au contraire. Proposer un cadre de travail avec des
limites, des temps pour la vie privée, pour l’oisiveté, pour donner un
autre sens à la vie, c’est aussi permettre à ses collaborateurs de
s’inscrire dans la durée et d’être plus performant lors de leur temps de
présence. Pour le docteur Karila, porte-parole de l’association SOS
addictions, « il faut sensibiliser les salariés,les entreprises et plus particulièrement les managers » à cette addiction, afin de réinvestir les temps privés et faire en sorte « que les temps intimes soient aussi respectés que les temps professionnels ».
D’autant qu’il ne s’agit pas que d’une question de qualité de vie au
travail. Ce qui est en jeu, c’est aussi la performance de l’entreprise.
Comme le précisait Anne-Sophie Panseri, dirigeante de Maviflex, « un collaborateur qui, le soir, peut évacuer la pression, revient le lendemain de bonne humeur et avec la tête remplie d’idées
». En substance, ces temps de pause permettent d’avoir plus de plaisir
dans son travail, mais aussi plus de performance. Et nous l’avons déjà
dit, « chiller » réveille la créativité
: 58 % des entreprises qui ont œuvré pour booster la créativité en 2013
ont vu leur chiffre d’affaires augmenter significativement* .
Et quand on est sa propre entreprise, on fait comment ?
Oui, mais voilà, quand on n’a pas le choix, on fait comment ? Eh oui, les entrepreneurs sont certainement parmi les plus grands workaholics de la planète.
Ils se dopent au travail jour et nuit, laissant bien souvent de côté
les cinq semaines de vacances, n’étant pas toujours à même de mettre leur cerveau sur pause,
parce qu’ils ont 36 dossiers à traiter, des clients pas toujours très
sympathiques qui ne se posent pas vraiment la question de leur bien-être
à eux et des réalités administratives qui ne souffrent aucun délai.
Ici, pas de managers pour dire de partir plus tôt, pas de service RH
prêt à aider à décrocher en douceur et pas forcément de collègues à même
de montrer l’exemple. Disons-le clairement, en tant qu’entrepreneur,
vous n’aurez pas droit à toutes ces considérations. Vos clients
attendent de vous que vous fassiez votre travail dans les temps, où ils
iront voir ailleurs, tout simplement. C’est la dure loi du marché.
Alors comment faire, quand on est entrepreneur, pour ne pas finir épuisé et lessivé par le travail au point d’en mettre sa santé en danger ?
Alors comment faire, quand on est entrepreneur, pour ne pas finir épuisé et lessivé par le travail au point d’en mettre sa santé en danger ?
Puisqu’être à son compte ne veut pas dire renoncer à sa qualité de
vie professionnelle et personnelle, c’est aux entrepreneurs de fixer
leurs limites et d’imposer leur cadre de travail. Au-delà des processus,
cela veut surtout dire savoir dire non aux clients trop gourmands ou
malpolis, savoir refuser des contrats qui risquent de les mettre en
péril, savoir dire stop à la fin de la journée pour profiter de
véritable moment en famille, savoir organiser des week-ends ou vacances
dignes de ce nom, sans pour autant regarder son smartphone toutes les 10
minutes. Vous aussi, vous avez le droit de lever le pied et de rester
en bonne santé psychologique et physique !
Finalement, ce sont les mentalités qui doivent évoluer, pour
faire en sorte que le travail soit aussi un lieu d’épanouissement. Il
convient d’en finir avec le culte du travailleur acharné et cette
admiration que certains d’entre nous vouent encore à ceux qui ne
comptent pas leurs heures, négligeant leur vie personnelle. À nous de
regarder ce qui se pratique ailleurs et commencer à admettre que l’on
travaille d’autant mieux que l’on travaille avec modération (que ce soit
en termes d’efficacité ou de créativité).
Cela vaut pour les collaborateurs salariés comme pour les entrepreneurs, surtout en ce moment, où l’on compte 2,8 millions de travailleurs indépendants en France et au moins 830 000 freelances. Les uns comme les autres ne comptent pas pour du beurre.
* Étude menée par le cabinet Forrester Consulting pour le compte d’Adobe
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