De l’acheteur au manager des ressources externes : développer ses compétences émotionnelles pour mieux collaborer
Une palette de cinq compétences émotionnelles de base peuvent permettre à la fonction achats de faire face aux changements en cours dans la profession.
Dans un monde en crise (économique, écologique, sécuritaire…) et un
contexte économique en pleine mutation (mondialisation,
financiarisation, digitalisation…), la fonction achats est sans doute
celle qui évolue le plus aujourd’hui au sein des entreprises et
des
organisations. Ce faisant, il s’agit aussi de la fonction qui peut
contribuer le plus à faire évoluer les organisations dans leur
globalité. Ceci est d’autant plus vrai qu’au sein d’organisations de
tous types et de tous secteurs, une caractéristique majeure et de plus
en plus partagée de la fonction achats réside dans sa transversalité.
Etant devenue une fonction stratégique,
elle interagit de plus en plus avec toutes les autres fonctions
(commerciale, production, R&D…). Il résulte de ce changement,
aujourd’hui largement à l’œuvre, des évolutions fortes du métier
d’acheteur. De plus en plus, les missions que l’acheteur se voit confier
l’amènent à devenir un véritable manager des ressources externes que
sont les fournisseurs .
Tout en rendant leur travail plus riche, cette transformation ne manque
pas d’engendrer des difficultés qui exposent les acheteurs et leurs
entreprises à des risques nouveaux ou jusqu’ici largement ignorés.Un métier en profonde évolution
Cette évolution comporte de multiples facettes. D’abord, le cost-killing classique,
consistant à faire de la réduction des coûts la mesure ultime de la
performance des acheteurs, a vécu. Les effets en termes de perte de
qualité, de surconsommation ou d’image sont désormais mieux pris en
compte. Au sein des entreprises les plus matures, c’est même la
contribution des acheteurs à la création de valeur, sous diverses
formes, qui est désormais visée.
Une part importante de l’apport de valeur de l’acheteur résulte de sa
capacité à contribuer à l’innovation de son entreprise. Cette
innovation ne se fait plus qu’avec les fournisseurs et prend de plus en
plus la forme de co-innovation. Car, ayant beaucoup externalisé, les
entreprises ont besoin, pour continuer à innover, de compétences qui ne
se trouvent plus que chez leurs fournisseurs . Il importe donc, pour l’acheteur, de faire de son entreprise le client préféré de ses fournisseurs pour bénéficier de façon privilégiée de leur potentiel créatif.
Une autre part importante de la valeur générée par l’acheteur réside
dans sa capacité à se montrer responsable, en raison de l’image souvent
dégradée de la profession aux yeux des autres collaborateurs et du grand
public. A l’heure où les achats représentent, en moyenne, plus de 60%
du chiffre d’affaires des entreprises, il devient illusoire d’évoluer
vers plus de responsabilité sociétale sans pratiquer des achats
responsables .
A ces évolutions récentes s’ajoute l’impact actuel et à venir de la robotisation, de la numérisation et de la digitalisation
qui transforment d’ores et déjà le métier d’acheteur – et vont
continuer de le faire. Un certain nombre de tâches purement
opérationnelles et administratives sont confiées aux machines, évinçant
littéralement l’acheteur de tâches qu’il avait parfois plaisir à
accomplir. D’autres tâches demeurent réalisées par les acheteurs mais de
manière différente, avec l’aide des machines (les fameux « cobots ») :
elles doivent donc être repensées. Enfin, des tâches nouvelles
apparaissent : celles que seul l’humain est véritablement capable de
prendre en charge. Souvent liées au besoin de mieux collaborer pour
innover ensemble, elles reposent sur la mobilisation accrue de
compétences relationnelles et/ou émotionnelles.
Des risques de burn-out
De telles évolutions de la profession, touchant à la fois la nature
même de ses missions et les moyens de les réaliser, exposent l’acheteur à
des difficultés nouvelles. De plus en plus, les acheteurs sont soumis à
des injonctions contradictoires (innover et créer de la valeur tout en
continuant à réduire les coûts ; sécuriser les approvisionnements tout
en tirant profit des opportunités économiques liées au changement de
fournisseur ; devenir le client préféré de ses fournisseurs tout en
négociant avec eux des conditions de paiement avantageuses pour son
entreprise…) favorisant l’émergence de nombreux conflits de rôle et, in
fine, de fréquents burn-out .
L’enrichissement du métier, possiblement vécu comme une évolution
bienvenue, devient vite un problème lorsque les anciens objectifs
persistent et cohabitent difficilement avec les nouveaux.
Pour l’acheteur, une telle situation complique la prise de décision
alors même que les situations de prise de décision tendent à se
multiplier. En gagnant en autonomie, l’acheteur devient ainsi un
véritable « manager ». Et les difficultés sont encore amplifiées par les
résistances émanant des autres collaborateurs de l’entreprise qui ont
parfois peine à voir les acheteurs gagner en responsabilités et en
reconnaissance. Trop souvent victime d’un complexe de supériorité à
l’extérieur de son entreprise, qui freine la bonne collaboration avec
ses fournisseurs (l’acheteur se sent parfois encore trop « en terrain
conquis » chez eux), l’acheteur est victime, en interne, d’un complexe
d’infériorité qui peut être encore plus difficile à soigner.
Les acheteurs font également face à de fortes critiques en raison de
la désindustrialisation – particulièrement à l’œuvre en France – qu’ils
auraient favorisé par des choix quotidiens délétères consistant à
acheter moins cher au bout du monde qu’auprès de leurs fournisseurs
locaux historiques. Bien que très largement fondée, cette critique ne
doit pas faire oublier que la fonction n’en est que plus importante pour
pacifier les relations inter-entreprises (qu’elle a contribué à rendre
plus tendues). Comme l’écrivait le philosophe Friedrich Hölderlin : « Là
où croît le péril croît aussi ce qui sauve » : les acheteurs détiennent
aussi les clés de la mise en œuvre de relations bien plus équilibrées
et fertiles en termes de création de valeur pour l’entreprise et pour la
société.
Le développement des compétences émotionnelles
Toutes ces évolutions expliquent pourquoi l’acheteur a tout intérêt à
développer ses compétences émotionnelles pour nouer des relations plus
collaboratives – et donc génératrice d’innovations et créatrices de
valeur durable – avec ses fournisseurs et ses collègues .
Le développement de ses compétences émotionnelles doit lui permettre de :
– Mieux vivre les conflits de rôle auquel il est soumis et, plus généralement, le contexte de changement profond qu’il vit ;
– Mieux contribuer à la performance durable de son entreprise en prenant de meilleures décisions, éclairées par une meilleure connaissance de ses besoins et de ceux de ses interlocuteurs ;
– Se connecter à ses valeurs afin que ses choix se fassent au bénéfice de toutes les parties prenantes (l’entreprise, les fournisseurs, les clients, l’environnement…) ;
– Développer son employabilité à l’heure où la robotisation peut être vécue comme une menace (notamment en développant ses capacités à créer du lien).
– Mieux vivre les conflits de rôle auquel il est soumis et, plus généralement, le contexte de changement profond qu’il vit ;
– Mieux contribuer à la performance durable de son entreprise en prenant de meilleures décisions, éclairées par une meilleure connaissance de ses besoins et de ceux de ses interlocuteurs ;
– Se connecter à ses valeurs afin que ses choix se fassent au bénéfice de toutes les parties prenantes (l’entreprise, les fournisseurs, les clients, l’environnement…) ;
– Développer son employabilité à l’heure où la robotisation peut être vécue comme une menace (notamment en développant ses capacités à créer du lien).
Dans notre société et au sein de nos entreprises, traversées par de
nombreuses tensions, les compétences émotionnelles sont un vecteur de
transformation et de pacification, et ce au service d’une collaboration
accrue entre toutes les parties prenantes, de la paix économique et donc
du bien commun.
Ce tableau présente les cinq compétences émotionnelles de base et précise leur rôle tant au niveau personnel qu’interpersonnel.
La
première et la troisième (identifier et comprendre) sont parfois
présentées comme des compétences analytiques : elles permettent
d’analyser finement ce qui est en train de se passer dans une situation
donnée. Les seconde, quatrième et cinquième compétences (exprimer,
réguler et utiliser) sont davantage décrites comme des compétences
stratégiques : elles permettent de choisir ce que l’on va faire de
l’émotion vécue, rendant à celui qui les éprouve, en l’occurrence à
l’acheteur, une véritable liberté de choix et d’action au service de
collaborations plus fécondes.
Ilios Kotsou, Docteur en psychologie, il est chercheur au
sein de la chaire Mindfulness, bien-être au travail et paix économique
de Grenoble Ecole de management et maître de conférences à l’Université
libre de Bruxelles. Formé à la mindfulness, il est membre du Mind &
Life Europe.
Hugues Poissonnier, Professeur associé à Grenoble Ecole de
Management, où il enseigne le contrôle de gestion et les achats. Il
intervient également dans plusieurs universités et écoles de commerce
françaises et étrangères (ESC Marrakech, Silesian International Business
School…) ainsi que dans des écoles d’ingénieurs (Ecole des Mines de
Paris, INP Grenoble…).
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