Patrick Dupoux : "En 2013, la quasi-totalité des PDG des grandes multinationales sont allés en Afrique"
Par Julien Clémençon, 28-01-2014
Dans son rapport "Winning in Africa", publié le 9 janvier, le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) souligne la diversification croissante de l'économie africaine qui attire de plus en plus d'investisseurs étrangers. Retour avec Patrick Dupoux, directeur associé et cofondateur du bureau du BCG basé à Casablanca, sur cette transformation.
Trois ans et demi après le rapport "African
challengers" consacré à l'émergence économique du continent, le cabinet
de stratégie Boston Consulting Group (BCG) invite de nouveau les
entreprises à regarder au sud de la Méditerranée. Publié le 9 janvier
dernier, le rapport "Winning in Africa" met
en relief la transition progressive d'une économie de comptoirs,
centrée essentiellement sur l'exploitation brute des matières premières,
au développement d'écosystèmes économiques plus diversifiés. Son
co-auteur Patrick Dupoux, Directeur associé et co-fondateur du bureau du
BCG basé à Casablanca, décrypte la tendance pour Jeune Afrique.
Propos recueillis par Julien Clémençot
Dans votre rapport, vous insistez sur la fin des économies de comptoirs.
"Depuis 1995, les actifs représentent enfin plus de 50% de la population totale en Afrique."
Effectivement.
Même si les matières premières jouent encore un rôle important dans
l'économie du continent, il est important de constater qu'elles ne
constituent pas le ressort unique de la croissance africaine -
supérieure à la moyenne mondiale depuis les années 2000. Le point
d'inflexion économique pour le continent se situe un peu avant 2000,
alors que le boom des cours des matières premières n'arrive qu'après
2003.
Par ailleurs, on constate que les pays moins riches en
ressources naturelles ont eu une croissance presque aussi forte que ceux
qui en sont richement dotées. C'est le cas de pays tels que le Maroc,
le Rwanda ou le Ghana, où la croissance a été surtout tirée par les
services, la banque et les télécoms.
Si ce ne sont pas les
matières premières, qu'est ce qui explique le reversement de tendance
après des années 1980 et 1990 difficiles pour l'Afrique ?
En
premier lieu, l'Afrique a enfin bénéficié d'un afflux de capital,
provenant de plusieurs sources : transferts monétaires des populations
émigrées, facilités par le développement des services de sociétés comme
Western Union, et décollage des investissements privés dans les télécoms
ainsi que les infrastructures. La seconde raison tient au début d'une
transition démographique.
Depuis 1995, les actifs représentent
enfin plus de 50% de la population totale. L’Asie a enclenché cette
transition 15 ans auparavant, et cela a été clé dans le le début de son
décollage. La progression de l'alphabétisation et de l'éducation sont
également des facteurs importants. La troisième raison est l'émergence
de la téléphonie mobile et d'internet, qui ont facilité l'accès au
savoir et aux technologies et généré des gains de productivité
considérables.
Enfin, il y a l'amélioration du climat politique.
La plupart des pays africains sont démocraties ou sont engagés dans une
phase de transition démocratique. Bien sûr, l'Afrique n'est pas encore
la Scandinavie, mais la perspective a largement changé par rapport aux
années 1990. Tous ces facteurs ont contribué à favoriser la croissance
économique et le développement d'une nouvelle classe de consommateurs.
"En 2006, 10% des patrons des trente plus grands groupes mondiaux s'étaient rendus en Afrique. En 2013, ce chiffre est monté à 90%."
Combien sont-ils ?
On
estime que 200 millions de personnes vivent dans un foyer dont les
revenus dépassent 10.000 dollars par an, le seuil à partir duquel on
commence à avoir un pourvoir d'achat que l'on peut utiliser de manière
discrétionnaire. Ce chiffre devrait approcher les 300 millions d'ici
2020.
Comment les entreprises peuvent-elles profiter de cette opportunité ?
Cela
impose un changement d'état d'esprit. Les entreprises ne peuvent plus
se contenter de gérer l'Afrique à distance, en négociant leurs contrats
avec quelques personnes – distributeurs ou gouvernements, sans
développer de présence et de savoir-faire local. Elles ne peuvent plus
opérer leurs activités uniquement avec des expatriés. Elles ne peuvent
plus développer leurs produits uniquement pour une micro-élite, en
ignorant l'émergence de la classe mondiale. Dans le secteur des matières
premières, elles ne peuvent plus extraire les ressources naturelles
sans réaliser des transformations locales, ou au moins s'intéresser au
développement des communautés locales. De plus en plus, le succès des
entreprises va passer par le développement d'un écosystème local –
qu'ils soient clients, équipes, fournisseurs, communautés,
distributeurs...
C'est à dire
La formation
de compétences locales ou le recours à des fournisseurs locaux,
l'investissement local, vont devenir critiques pour réussir en Afrique.
Mais parce que l'Afrique reste un continent complexe, où le un niveau de
risque reste souvent élevé, les dirigeants devront être sélectifs dans
leurs investissements.
Le marché africain est-il d'ores et déjà devenu une priorité pour les grandes entreprises ?
Assurément.
En 2006, 10% des patrons des trente plus grands groupes mondiaux
s'étaient rendus en Afrique. En 2013, ce chiffre est monté à 90%. Le
point d'inflexion est intervenu après le déclenchement de la crise
financière de 2008. Le continent a alors émergé comme une priorité.>>>
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