Success stories Ma vie d'entrepreneur : l'échec qui a changé ma vie



Par Pauline Laigneau,  créatrice d'entreprise, business.lesechos.fr, 16-05-2014
Ne pas trouver son marché, faire capoter une transaction, rater son financement, … La création d’entreprise ressemble à une longue course semée d’embûches où l’échec prend une place plus importante qu’on aimerait l’avouer. C’est l’expérience que vous fait partager Pauline Laigneau, cofondatrice de la joaillerie Gemmyo.


A l'occasion de la récente FailCon, une série de conférences dédiées au thème de l'échec, Roxanne Varza (qui a importé le concept du FailCon en France) m'a demandée si je voulais m'exprimer sur ce thème …   Une foule de ratages spectaculaires me sont venus à l'esprit.
J'ai d'abord pensé à la première société que j'avais cofondée, TopAngle. Vous n'en avez jamais entendu parler ? C'est normal. TopAngle a été un fiasco de bout en bout : le produit était catastrophique, l'équipe était catastrophique et je ne vous parle même pas de notre exécution… catastrophique bien sûr. D'ailleurs, le projet  n'a duré que quelques mois à tout casser. Bon débarras.

Echecs faciles, échecs terribles

Ensuite, j'ai pensé à tous les projets que j'avais montés qui n'avaient jamais abouti, j'ai pensé à toutes les erreurs que j'ai commises avec Gemmyo, mon entreprise actuelle, et à toutes les mauvaises décisions que je suis encore en train de prendre aujourd'hui.
Et puis, prenant mon courage à deux mains, j'ai compris que si j'étais honnête avec moi-même, si je voulais vraiment livrer un témoignage utile, il ne fallait pas que je me contente de parler de petits échecs sans importance ; au contraire, il fallait que je sois sincère et que j'appuie là où ça fait mal.  Il fallait que j'évoque un sujet qui reste encore pénible aujourd'hui… l'échec qui m'a fait devenir la personne que je suis.
Je vous livre ici mon plus grand échec. C'est difficile,  mais c'est ma façon de l'assumer  pleinement et d'en tirer les conséquences. 

Succès, prestige, statut

Depuis que j'ai environ six ans, mon père me répète que mon destin sera d'être quelqu'un d'extraordinaire.  Cet entrepreneur 100% self-made man n'est pas passé par le schéma habituel des Grandes Ecoles. A force de travail et de courage, il s'est créé une vie de liberté et d'indépendance sans l'aide de rien ni personne. Comment ne pas l'admirer ? Paradoxalement alors que sa vie est une preuve qu'il n'y a pas qu'un seul chemin pour réussir, mon père a développé une attirance maladive pour le monde des études. Depuis mes 6 ans environ, il a donc une vision très claire pour sa petite fille chérie : diplômes, succès, prestige... tout un programme.
Ainsi, pendant les 20 premières années de ma vie mon père fonde tous ses espoirs en moi : " j'aurai la vie qu'il n'a jamais eu, je serai brillante, j'irai dans les meilleures écoles et je n'aurai jamais à me soucier de la médiocrité du monde des affaires".
Etant une gentille petite fille sage, j'ai fait ce qu'on me disait : après des années de travail acharné je suis admise à l'Ecole Normale Supérieure. Prestige me voilà ! J'étais persuadée qu'en y entrant, ma vie trouverait tout son sens. Eh bien, laissez-moi vous dire que je n'ai jamais été aussi malheureuse que le jour où j'ai franchi le seuil de l'école. Je me sentais prise au piège, perdue. Bien sûr, je ne me rendais pas compte à l'époque que c'était simplement parce que je n'étais pas destinée à l'enseignement ou à la recherche (l'objectif des études à Normale Sup). La dénégation agissant à son plein, je me suis dit qu'il me fallait simplement plus de prestige, plus de diplômes. Comme quoi on peut faire Normale Supérieure et être complètement à côté de la plaque.

Cap sur l'ENA

Avec cela en tête, ma réaction a très naturellement été de faire quelque chose d'encore plus stupide : préparer le concours de l'ENA. Lorsque j'ai annoncé à  ma famille que j'avais pris la décision de tenter ma chance à l'ENA - sans vocation aucune bien sûr - mon père était fou de joie. Tellement fier ! L'ENA ! Les ors de la République ! Et moi, gentille petite fille sans histoire, j'étais simplement heureuse de lui faire plaisir.
Puis vient le jour du Grand Oral. J'ai travaillé comme une folle et, miracle, je suis admissible.  Ce n'est malheureusement pas fini : maintenant, il faut que je réussisse les oraux faire pour faire plaisir à papa.  Le jour du Grand Oral, j'ai 20 ans de fierté paternelle qui me pèsent sur mes épaules. Le «grand oral " se passe bien... enfin, c'est ce que je pense tout du moins.
Je reçois un  2. Oui, 2 sur 20. L'échec est d'une violence inouïe. Je ne comprends pas comment c'est possible, j'ai tellement travaillé ! Je ressens une morsure de honte et de rage que je ne saurais exprimer. Plus qu'une honte personnelle, je suis désespérée de décevoir mon père, de faillir à mon devoir ; je ne mérite décidément pas d'être sa fille chérie.

Quand l'échec peut être une révélation

Je passe les jours suivant à larmoyer et me complaire dans ma médiocrité. Je me trouve des excuses, je me justifie sans cesse. Enfin, alors que j'ai l'impression de toucher le fond, j'ai un déclic. Ou plus exactement, une vraie révélation.
Je rends compte pour la première fois que je vis depuis plus de 20 ans le rêve de quelqu'un d'autre. Je comprends que les membres du jury de l'ENA, alors même qu'ils ne m'avaient rencontrée que durant 45mn à peine, ont lu en moi comme dans un livre ouvert. Je réalise que cet échec est en fait la meilleure chose qui me soit m'arrivée.
Ce qui compte pour  moi ce n'est ni le prestige, ni les diplômes. Je me fiche pas mal de la politique et du pouvoir. Ce que j'aime, ce qui me fait vibrer, c'est l'aventure, la liberté, le risque ! Pas vraiment ce qu'on trouve à l'ENA...
Ce jour-là, je me suis enfin rendue compte qu'il fallait que je cesse d'être une gentille fille à papa, que je grandisse un coup et que je commence à penser par moi-même.
Bien que mon père m'ait toujours poussée vers la sécurité de l'emploi et les responsabilités prestigieuses, mon for intérieur me criait depuis toujours que ma véritable vocation était ailleurs. Mon échec m'a tout simplement forcée à faire une introspection et à me connaître moi-même.
Il faut que je vous avoue que mon père est quelqu'un d'impressionnant. Il a du charisme, de la volonté, il parle fort. Il m'a donc fallu beaucoup de courage pour lui dire que je n'allais pas repasser l'ENA. Il m'a fallu encore plus de courage pour lui dire que je n'allais plus suivre son rêve. Mais je l'ai fait quand même et maintenant avec de la distance, je ne comprends même plus comment cela a pu me sembler aussi effrayant.

Vivre un échec peut faire sens

Vous voyez, l'échec peut faire sens ; il peut même transformer une vie. Plus l'épreuve est rude, plus l'apprentissage sera important. L'échec force à prendre de la hauteur et à mettre les choses en perspective. Cette expérience est inestimable.
Bien sûr, tout échec public nécessite du courage : le courage d'accepter le poids de la honte, le courage d'avouer que vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour accomplir une tâche, mais que cela n'a tout simplement pas fonctionné. Il n'y a pas d'excuses. Vous venez d'échouer. Point barre.
N'oubliez jamais que cet échec est en fait un excellent indicateur : il signifie simplement que vous avez pris un risque. Et dans un pays où ce mot a une connotation trop souvent péjorative, vous pouvez être fier de lui donner un nouveau sens positif. Parce que pour moi, ne prendre aucun risque ce n'est pas être précautionneux, ce n'est pas être fin stratège. Pour moi, ne prendre aucun risque n'est qu'une forme de lâcheté.
Echouer, c'est prouver que vous n'êtes pas un lâche.
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