Malthus, Marx et les défis de la croissance moderne
Par Kenneth Rogoff , lesechos.fr, 20-03-2014
Jusqu'ici, la promesse de nos sociétés - celle de voir chaque nouvelle génération vivre mieux que la précédente - ne s'est jamais démentie. Cela peut-il durer ? Oui, si les dirigeants politiques se montrent à la hauteur.
La promesse de voir chaque nouvelle
génération connaître une vie meilleure que la précédente constitue l'un
des principes fondamentaux de nos sociétés modernes. De manière
générale, la plupart des économies développées honorent cet objectif, le
niveau de vie s'étant amélioré au fil des dernières générations, malgré
les reculs liés aux guerres et aux crises financières.
Au
sein même des pays en voie de développement, la grande majorité des
populations a commencé à faire l'expérience d'une amélioration du niveau
de vie, suscitant un certain nombre d'attentes autour de la croissance
attachée à cette évolution. Pour autant, et notamment dans les économies
développées, les générations futures verront-elles ces espoirs se
concrétiser ? Bien que la réponse à cette question soit probablement
affirmative, les risques pesant sur cette aspiration apparaissent plus
significatifs qu'ils ne l'étaient, il y a quelques dizaines d'années.
Jusqu'à
présent, toutes les prédictions annonçant dans l'époque moderne un
assombrissement du destin de l'humanité, de Thomas Malthus à Karl Marx,
se sont révélées formidablement erronées. Le progrès technologique nous a
en effet permis de surmonter les obstacles à la croissance économique.
Ainsi,
les craintes de Malthus autour d'une famine de masse ne se sont
confirmées dans aucune économie capitaliste pacifique que ce soit. Et,
malgré l'inquiétant déclin de la proportion du travail dans le revenu
ces dernières décennies, le tableau à long terme contredit toujours la
prédiction marxienne selon laquelle le capitalisme serait voué tôt ou
tard à faire la misère des travailleurs. Le niveau de vie ne cesse en
effet de s'améliorer à travers le monde.
Les
performances de croissance passées ne garantissent cependant nullement
le maintien d'une trajectoire peu ou prou similaire au cours de notre
siècle. Sans même évoquer les éventuelles perturbations géopolitiques,
un certain nombre de défis considérables restent à surmonter, liés pour
la plupart aux sous-performances et aux dysfonctionnements du pouvoir
politique.
Parmi les problèmes à
résoudre figure la nécessité de maintenir un système économique qui
soit perçu comme fondamentalement juste, ce qui constitue la clef de sa
stabilité politique. Cette perception ne doit plus être considérée comme
une évidence, l'interaction entre technologie et mondialisation ayant
exacerbé les inégalités de revenus et de richesses entre les différents
pays, bien que les fossés les séparant se soient rétrécis.
Jusqu'à
présent, nos sociétés se sont révélées habiles dans leur adaptation aux
technologies de rupture ; le rythme des évolutions au cours des
dernières décennies a néanmoins entraîné de profondes oppositions,
illustrées par d'incroyables disparités de revenus entre les pays, le
record d'écart entre les plus riches et les autres étant quasi atteint.
Une
autre difficulté réside dans le vieillissement des populations. Où
trouver les ressources à allouer aux soins des plus âgés, notamment au
sein d'économies à croissance lente dans lesquelles les régimes publics
de retraite existants sont manifestement intenables ?
La
dernière problématique réside dans un large ensemble de questions
exigeant la réglementation de technologies à évolution rapide de la part
de gouvernements ne jouissant pas nécessairement de la compétence ou
des ressources pour le faire efficacement. Nous avons d'ores et déjà pu
constater où pouvait nous mener la faible réglementation de marchés financiers rapidement changeants. Or ce parallèle s'applique à de nombreux autres marchés.
A
cet égard, on peut évoquer l'exemple édifiant de l'approvisionnement
alimentaire - un domaine dans lequel la technologie n'a cessé de
produire des aliments toujours plus transformés et génétiquement
redéfinis, que les scientifiques commencent à peine à évaluer. A ce
jour, l'une des certitudes réside dans ce constat selon lequel l'obésité
des enfants est devenue une véritable épidémie dans de nombreux pays,
les taux de diabètes de type 2 et autres maladies coronariennes grimpant
de manière alarmante, porteurs d'un impact négatif considérable sur
l'espérance de vie des générations futures.>>>
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