L’avenir de l’Afrique : contribution de la diaspora intellectuelle au développement du continent
Par Ferdinand Mayega, irea-institut.org |
La diaspora intellectuelle africaine est la mine d’or
grise inépuisable pour l’Afrique. Elle constitue la meilleure
ressource stratégique et renouvelable loin devant l’or noir non
renouvelable et toutes les autres richesses du sol et du sous-sol. Le
développement durable et humain intégral sur le continent africain dans
les prochaines décennies se fera grâce à cette richesse humaine
africaine de l’extérieur.
D’après la Commission de l’Union
africaine, la diaspora africaine désigne « les personnes d’origine
africaine vivant hors du continent africain, qui sont désireuses de
contribuer à son développement et à la construction de l’Union
africaine, quelles que soient leur citoyenneté et leur nationalité ».
Dès lors, il s’agit de toutes les personnes où qu’elles se trouvent à
travers le monde ayant des racines africaines. Entre dans cette
catégorie, la diaspora noire d’Amérique latine, d’Amérique du Nord, des
Caraïbes et de l’Europe. Nous ne saurions oublier les Noirs ou Kahlouck
de la péninsule arabique du Proche et Moyen-Orient de confession
musulmane ainsi que les Noirs de confession juive d’Israël encore
appelés les Falachas originaires d’Éthiopie. Vous pouvez alors imaginer
aisément le poids humain de la diaspora intellectuelle africaine, le
pouvoir financier, le savoir et savoir-faire de ces Africains
éparpillés à travers le monde. C’est pourquoi on dit généralement que
la diaspora africaine est la 6ème région africaine ou le 54ème pays du
continent. Si on estime aujourd’hui cette diaspora africaine à environ
200 millions de personnes, sa mine d’or grise serait de plusieurs
millions.
En termes de flux financiers en
direction d’Afrique, cette diaspora transférerait annuellement
plusieurs dizaines de milliards de dollars. Rien qu’à l’échelle des
États-Unis, les 4 millions d’Africains vivant dans ce pays, si on
excluait les Africains-américains, envoient chaque année l’équivalent
de 20 milliards de dollars. Vous pouvez alors imaginer ce qu’une bonne
politique de gouvernance en matière d’investissement et de retour de
cette diaspora à l’échelle continentale peut favoriser comme feedback
sur les investissements pour les pays. L’Égypte, le Maroc et le Nigéria
sont les plus grands bénéficiaires, sur le continent, du transfert de
fonds de la diaspora africaine. Par ailleurs, cette diaspora a un
savoir et un savoir-faire qui peut être d’une grande utilité pour le
développement durable de l’Afrique. Le continent africain doit
impérativement adopter une politique incitative pour rechercher
l’expertise de sa mine d’or grise. L’Afrique dépense chaque année plus
de 4 milliards de dollars pour l’utilisation des experts occidentaux sur
le continent. Ces experts du Nord souvent surévalués par rapport à
leur compétence réelle avoisinent le nombre de 150.000. Au lieu
d’utiliser uniquement le savoir-faire occidental, dans le cadre de la
coopération, il serait également souhaitable de faire appel à
l’expertise de sa diaspora intellectuelle. Cette politique a au moins
deux avantages : tout d’abord, l’utilisation de l’expertise de la
diaspora africaine a l’avantage de créer un pont entre ces derniers et
l’Afrique, mais aussi de favoriser les vacances de cette diaspora en
Afrique. Cette politique aura pour effet de promouvoir un tourisme de
la diaspora qui va générer d’énormes ressources financières dans
l’économie africaine. Ensuite, la reconnaissance du know how de cette
diaspora par les leaders politiques va également encourager le retour
de certains d’entre eux en Afrique. Ainsi, au lieu d’espérer un
transfert de technologie du Nord vers l’Afrique, c’est cette diaspora
de la matière grise qui va aider au transfert des connaissances. Ce
transfert de technologie sur le continent va permettre le saut
qualitatif de l’Afrique dans l’économie du savoir. Il va aider aussi à
relever le niveau du système éducatif en facilitant l’accès au même
savoir-faire aux ingénieurs, chercheurs et professeurs des universités
et centres de recherche en Afrique. L’exode des cerveaux sera ralenti
comparativement à la saignée que nous observons en ce moment. En effet,
on estime qu’environ 23.000 universitaires quittent l’Afrique chaque
année et cela coûte environ 4 milliards de dollars.
D’après
Lalla Ben Barka de la Commission économique pour l’Afrique(CEA) des
Nations Unies, d’ici 2030, l’Afrique sera vidée de ses cerveaux. Il y a
de quoi être inquiet même si l’exode des cerveaux est manichéen pour
l’Afrique. Pour le chercheur Mercy Brown de l’Université de Cape Town
en Afrique du Sud, à propos de l’avantage comparatif de l’exode des
cerveaux : « […] c’est voir l’exode des cerveaux comme un avantage à
exploiter […] Les expatriés hautement qualifiés constituent un bassin
de spécialistes dont le pays d’origine peut tirer profit […] le défi
consiste à recruter ces cerveaux. »
D’après
l’organisation internationale des migrations (OIM), plus de 300.000
spécialistes africains habitent à l’extérieur de l’Afrique et d’autres
Africains hautement qualifiés quittent le continent africain chaque
année sans la garantie de revenir. Entre 1980 et 1991, un pays comme
l’Éthiopie a perdu 75% de sa main d’œuvre spécialisée. Pire encore,
plus de 35% de l’aide publique au développement destinée à l’Afrique
sert encore à payer les spécialistes étrangers. La diaspora, d’une
manière générale dans les pays en développement, constitue la deuxième
source de devises étrangères et dans certains pays, ces transferts de
fonds sont devenus la première source de devises devant l’aide accordée
à ces États.
En 2004, les transferts des
fonds de la diaspora dans les pays en développement, notamment sur le
continent africain, s’élevaient à 126 milliards de dollars. Pendant la
même période, les flux d’investissement directs étrangers avoisinaient
165 milliards de dollars alors que l’aide publique au développement
durant la même année était estimée à 79 milliards de dollars. Si on
ajoute à ces transferts d’argent par les canaux officiels, l’envoi des
devises par les moyens non officiels, on se rend vite compte que la
diaspora africaine est une ressource stratégique majeure pour l’Afrique
et son développement. Cette diaspora africaine est donc un capital
humain et une ressource nécessaire que les dirigeants africains doivent
absolument courtiser. C’est ainsi que ces derniers participeront
efficacement à la prospérité de l’Afrique. Il revient aux leaders
politiques d’avoir une vision du futur ou un réel plan d’action pour
profiter beaucoup plus encore de l’expertise de sa forte diaspora du
monde. Ces Africains éparpillés à travers le monde veulent apporter
leur pierre à l’édification d’une Afrique riche et prospère d’ici une à
deux générations. Comme tous les Africains sur le continent, la
diaspora intellectuelle africaine aimerait voir l’Afrique jouer un rôle
non négligeable dans ce 21ème siècle dans la marche des affaires du
monde.
Le rôle de la diaspora intellectuelle dans la réforme du système éducatif et la recherche en Afrique
Le système éducatif, dans de
nombreux pays africains notamment francophones, est obsolète parce
qu’il est calqué sur le modèle occidental d’une certaine époque. Il ne
répond plus aujourd’hui aux exigences d’un monde en perpétuelle
mutation ainsi qu’aux défis actuels des États du continent pour
soutenir la croissance démographique, les réformes politiques,
économiques et sociales dans la perspective du développement durable.
Pourtant, nous savons que l’éducation est la base de la liberté. C’est
la source de toute velléité de lutte pour la justice et d’amélioration
des conditions de vie. Tant qu’un peuple est moins éduqué ou mal
éduqué, il est difficile pour lui d’œuvrer efficacement au
développement durable de son pays. Les universités et écoles
d’ingénieurs en Afrique ne répondent presque plus à leur mission de
l’unité de l’enseignement et de la recherche ainsi que de l’appui au
développement. Les centres de recherche qui existent ne valorisent pas
toujours les résultats de la recherche pour permettre à l’Afrique de
participer à l’aventure scientifique et technologique à l’échelle
mondiale. C’est l’une des raisons pour lesquelles la part du continent
africain dans la production scientifique mondiale est passée de 0,5% au
milieu des années 1980 à 0,3% au milieu des années 1990. La fuite des
cerveaux vers l’Occident creuse encore davantage ce déséquilibre parce
que ces derniers ne sont pas sollicités pour apporter leur know how en
sciences et technologies. Les moyens financiers mis à la disposition
des équipes de recherche sont insuffisants. Finalement, les chercheurs
en Afrique qui cherchent, on en trouve mais les chercheurs africains
qui trouvent, on en cherche. D’où l’importance d’associer la diaspora
intellectuelle africaine dans la mise sur pied des centres de recherche
d’excellence et d’un système éducatif de qualité. Ce système éducatif
passe par une réforme en profondeur de l’enseignement aussi bien au
niveau primaire, secondaire qu’au niveau universitaire. La diaspora
intellectuelle a l’avantage d’évoluer dans un environnement où
l’enseignement, à tous les différents paliers du système éducatif, est
en constante amélioration.
Cet enseignement a permis de
former des diplômés compétitifs et des travailleurs qualifiés, aptes à
soutenir l’industrie en mettant à la disposition du grand public des
produits innovants. C’est le cas au Québec par exemple avec la création
des Cégeps en 1969 où les techniciens qualifiés ont été formés pour
aider à sortir le Québec de sa situation de société rurale pour
intégrer le peloton de tête des sociétés industrielles prospères et s’y
maintenir. Ce sont ces techniciens qualifiés au Québec par exemple qui
ont aidé des fleurons de l’industrie québécoise comme Bombardier,
Hydro-Québec, Snc Lavalin à devenir des leaders mondiaux dans leurs
secteurs respectifs d’activité. Les exilés africains du savoir peuvent
donc aider à revoir par exemple les différents programmes
d’enseignement en Afrique afin de leur donner un bon contenu qui
réponde aux exigences d’un continent qui aimerait aussi s’arrimer à la
modernité en jouant un rôle non négligeable en sciences et
technologies. Compte tenu de la modicité des moyens financiers des
différents États du continent pour se doter des universités
compétitives, il serait souhaitable pour ces derniers d’unir leurs
énergies pour créer une université régionale à vocation scientifique et
technologique. Chaque université sera dotée d’équipements de pointe où
la fine crème des meilleurs élèves dans les différents pays de la
région se retrouvera pour étudier. Ensuite, dans le cadre de la
formation de ces étudiants, les États de chaque région pourront faire
appel à l’expertise des meilleurs universitaires de la diaspora de leur
région ou d’autres régions africaines pour participer à la formation.
Pour ce qui est de la recherche,
les pays africains peuvent créer des masses critiques, des
regroupements ou des pôles d’excellence pour la recherche. En fonction
de l’intérêt pour la recherche et de leur application pour le
développement des États africains, les pays africains pourront
s’associer pour créer par exemple un centre de recherche en
mathématiques et informatique en Afrique du Sud, un centre en recherche
médicale et biotechnologie au Caire, un centre de recherche en
agronomie et agroforesterie au Nigeria, un centre en recherche minière
et pétrolière en RDC, etc. Les meilleures sommités africaines au sein
de la diaspora dans les différents champs de recherche seront
sollicitées pour rejoindre les différentes équipes de recherche. Ainsi,
les résultats de la recherche vont servir à l’ensemble des États
africains pour aider progressivement tous les pays à l’amélioration des
conditions de vie ou d’existence des citoyens. En fonction de la
richesse nationale ou du produit intérieur brut de chaque pays, les
moyens financiers seront mobilisés pour les équipements et le
fonctionnement des différents centres de recherche. Cette politique
aura l’avantage de mettre sur pied de bonnes universités et des centres
de recherche bien équipés. Ces structures académiques ou de recherche
pourront attirer la diaspora intellectuelle à apporter leur
savoir-faire au développement de l’Afrique. C’est dans cet esprit par
exemple que les Européens se sont résolus pour créer près de Genève, le
Centre européen de recherche nucléaire (CERN) où tous les physiciens
européens dans le domaine, parmi les plus brillants de toute l’Europe,
se retrouvent pour faire de la recherche. Ce centre de recherche attire
aujourd’hui des physiciens américains, canadiens, japonais, indiens,
chinois, russes et d’autres pays du monde. Le CERN a été crée par les
dirigeants européens pour concurrencer des centres de recherche
prestigieux aux États-Unis à l’exemple du Lawrence livermore national
laboratory à Oakland en Californie. Ce centre de recherche américain
est considéré comme le plus prestigieux au monde pour la recherche en
physique nucléaire. Dès lors, vous vous rendez compte que si les États
européens doivent s’unir pour la recherche dans certains domaines pour
faire le poids face aux grands centres de recherche américains,
l’Afrique qui est presque inexistante dans le domaine de la recherche
scientifique et technique doit impérativement adopter une politique
similaire pour se doter au moins de centres de recherche ou d’
universités de grande réputation aux yeux du reste du monde. Cette union
fera la force de l’Afrique et son rayonnement à l’échelle
internationale.
Cette politique africaine en
matière de recherche aura l’avantage d’attirer sa mine d’or grise
d’Occident à se joindre à cette aventure scientifique et technologique
pour le développement du continent. De nombreux intellectuels de la
diaspora attendent de telles initiatives des dirigeants africains pour
se rendre plus utiles au progrès du continent. Il faut aussi une réelle
volonté en Afrique de créer des parcs industriels et scientifiques
pouvant attirer la diaspora intellectuelle à faire des investissements
favorisant la création d’emplois sur le continent. À Taiwan par
exemple, en 1996, sur 193 sociétés créées au parc industriel et
scientifique de Hsinchu, 81 sociétés ont été créées par les
scientifiques et ingénieurs taïwanais revenus des États-Unis grâce à
une politique des dirigeants taïwanais d’attirer sa diaspora du monde,
surtout des États-Unis. C’est cette politique qui a permis à Taiwan de
se hisser au rang de l’un des leaders mondiaux dans le secteur des
ordinateurs personnels et des circuits intégrés.
Analyse comparative entre la diaspora comme ressource géostratégique et le pétrole
La diaspora intellectuelle
africaine se renouvellera toujours grâce à l’équilibre de la nature
alors que l’exploitation pétrolière est limitée sur une période donnée.
La diaspora comme ressource n’aiguise pas autant d’appétits que le
pétrole. Elle ne peut pas être facilement source de conflits ou de
guerres civiles comme l’or noir avec généralement l’influence des
acteurs nationaux ou étrangers. L’or gris peut favoriser durablement le
transfert de connaissances ou de technologies en Afrique. La diaspora
intellectuelle africaine peut aider à limiter la corruption systémique
dans nos États contrairement au pétrole qui est au cœur des
malversations financières avec les connexions à l’extérieur. Cette
diaspora peut aussi jouer le rôle de lobbying pour l’Afrique auprès des
pays d’adoption. C’est cette politique qui fait la force de l’État
d’Israël à travers le monde grâce aux lobbies juifs. Nous pouvons citer
l’American Israël Public Affaires Committee (AIPAC) qui influencerait
le Congrès à travers ses contributions de campagne pendant que
Washington Institute for Near East Policy(WINEP) aurait une forte
influence sur les médias et le pouvoir exécutif sur la politique des
États-Unis envers l’État Hébreu.>>>
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