Ne confondez pas efficience économique et cost-killing
By Christophe Sempels, HBR France
Si réduire les coûts et améliorer l’efficience économique peuvent mener aux mêmes bons résultats financiers, les chemins pour y arriver sont, eux, bien différents.
Jean d’Ormesson disait : « C’est le langage qui crée l’homme ». Nous
pourrions ajouter qu’il conditionne la manière dont l’homme pense,
conçoit et agit ; que sans une compréhension fine du sens
que nous
plaçons derrière chacun des mots que nous utilisons et de leur portée,
nous risquons d’agir de manière contreproductive. Il en va ainsi lorsque
nous pensons améliorer l’efficience économique de nos organisations en
mettant en œuvre une approche systématique de réduction des coûts.
Au niveau le plus stratégique, l’efficience économique interroge la qualité avec laquelle une organisation met en œuvre sa raison d’être à travers son modèle économique en :
– optimisant l’usage qu’elle fait de ses ressources matérielles et immatérielles (efficience d’usage) ;
– participant à la préservation ou, mieux, à la régénération des ressources naturelles (efficience environnementale) ;
– générant un mieux-être individuel et collectif (efficience sociale) ;
– assurant sa pérennité et son développement, sans nuire à ceux de ses parties prenantes (efficience monétaire).
– optimisant l’usage qu’elle fait de ses ressources matérielles et immatérielles (efficience d’usage) ;
– participant à la préservation ou, mieux, à la régénération des ressources naturelles (efficience environnementale) ;
– générant un mieux-être individuel et collectif (efficience sociale) ;
– assurant sa pérennité et son développement, sans nuire à ceux de ses parties prenantes (efficience monétaire).
De manière plus générale, l’efficience économique
peut bonifier tous les projets d’une organisation et toutes les
interactions entre ses différentes parties prenantes puisque la qualité
avec laquelle ils sont conduits impacte directement les valeurs ajoutées
qu’ils sont susceptibles de générer.
Faire la même chose avec moins ?
Pourtant, mon expérience m’a appris que certaines personnes
associaient l’efficience économique aux politiques et aux actions de
réduction des coûts. Comme si l’efficience était la capacité à faire la
même chose avec moins de ressources. Or les logiques sous-jacentes sont
différentes, voire mêmes opposées.
En effet, pour générer des gains d’efficience économique, il faut
pouvoir s’appuyer sur des ressources immatérielles repérées et pilotées.
Les savoirs et les informations, les compétences, la confiance entre
les acteurs ou la qualité de leur coopération sont des prérequis
indispensables.
Prenons l’exemple de Soliha Nouvelle Aquitaine, membre du Mouvement
Soliha, premier acteur associatif français en matière d’amélioration de
l’habitat pour les populations fragiles. Face à un manque de solutions
d’habitats éphémères pour des populations ayant des besoins de logement
sur un temps court (étudiants précaires, travailleurs saisonniers, gens
du voyage…), cet acteur régional innove non pas en construisant des
modules d’habitats éphémères peu satisfaisants (ce qui est souvent le
type de réponse privilégiée face à un tel besoin), mais en identifiant
des locaux publics ou privés temporairement ou continuellement vacants
et en construisant un modèle économique astucieux et gagnant-gagnant
pour les parties prenantes impliquées sur le territoire.
En interrogeant ainsi la possibilité d’accroître l’efficience d’usage
d’un parc immobilier public et privé sur un territoire donné, Soliha
Nouvelle Aquitaine crée un modèle vertueux générateur d’efficience
sociale pour des bénéficiaires souvent mal logés. Eviter la construction
de nouvelles unités améliore par ailleurs l’efficience
environnementale. Et le modèle économique choisi permet une juste
répartition de la valeur entre les acteurs impliqués, créant de fait une
efficience monétaire bien réelle. Une innovation prometteuse qui
n’aurait pas pu voir le jour sans une connaissance fine, par
l’organisation, de son tissu local et des réseaux d’acteurs présents ;
sans un ensemble de compétences techniques couplées à des compétences en
médiation sociale ; sans une forte capacité à créer de la confiance
entre les parties prenantes mobilisées ; et sans maîtriser sa chaîne
d’intervention pour garantir le bon fonctionnement du modèle (soit une
qualité de coopération entre les intervenants). Autant de ressources
immatérielles dont le développement est un levier de gain d’efficience
significatif.
Le poids des ressources immatérielles
Et le développement de ces ressources immatérielles nécessite des
investissements immatériels et des temps de régulation. Or, ceux-ci
résistent très mal aux politiques de réduction de coûts, et ce pour
plusieurs raisons.
Premièrement, l’immatériel est évaluable et non mesurable. En outre,
s’il produit des effets immédiats, il produit aussi des effets différés
dans le temps et se fraye un chemin peu traçable dans des systèmes
d’acteurs élargis. Tentez, par exemple, de mesurer le retour sur
investissement d’une formation et d’identifier auprès de qui et à quelle
vitesse le savoir aura circulé. Quel défi lorsque l’on sait que
participants et non participants peuvent parler de cette formation entre
eux dans leurs milieux professionnels mais aussi personnels,
aujourd’hui, demain ou dans six mois, et rebondir sur les idées des uns
et des autres pour les faire évoluer et les améliorer afin d’agir in
fine de manière plus pertinente ou d’innover.
Deuxièmement, les temps de régulation sont souvent vus par les
cost-killers comme des temps improductifs. Ces temps d’échanges,
permettant aux uns et aux autres de se synchroniser et de tirer parti
des retours d’expérience de chacun sont pourtant fondamentaux dans la
construction et la consolidation de ressources immatérielles
pertinentes. Ils sont hélas généralement interrompus ou rendus
impossibles par les politiques de réduction des coûts.
Troisièmement, l’approche systématique de réduction des coûts
maltraite les relations et dégrade la qualité des interactions.
Car ramener une relation et une interaction à son seul aspect monétaire
est rarement vécu comme satisfaisant de la part des acteurs impliqués.
Le désir de bien faire et de donner le meilleur de soi s’érode, la
qualité ne peut être maintenue, le rythme d’exécution et la pression
augmentent, rendant difficile voire impossible les temps de régulation
et dégradant alors la qualité de la coopération et, à terme, la
confiance. Ce sont toutes les ressources immatérielles dont les
organisations ont tant besoin qui s’affaiblissent alors, réduisant par
effet ricochet l’efficience économique avec laquelle les projets, les
plans d’actions et les stratégies se mettent en œuvre.
Finalement, si l’efficience économique s’avère être à l’origine de
meilleurs résultats financiers, ce n’est pas en l’abordant
prioritairement sous l’angle monétaire en réduisant des postes de
charges, mais en s’appuyant plutôt sur elle pour nourrir un processus
d’innovation qui va permettre d’améliorer les modèles économiques ou
accroître la valeur ajoutée des projets, et donc générer de meilleurs
résultats financiers. Subtile, la nuance est pourtant bien réelle.
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