Les plans stratégiques sont moins importants que la planification stratégique

La Terre n’arrête pas de tourner pendant que vous élaborez votre plan.

Par Graham Kenny, HBR France
Mentionnez le mot « plan » à des managers et l’image qui viendra à l’esprit de la plupart d’entre eux aura de bonnes chances d’être celle d’un plan de voyage. Elaboré par un agent de voyage, ce genre de plan détaille en termes clairs et nets les étapes de votre périple et à quoi vous attendre à chaque instant : d’où vous partez, où vous allez, où vous vous arrêterez en chemin, quels seront vos moyens de transport, et
ainsi de suite.
Ou alors ils songeront à celui dont se servent les entrepreneurs du bâtiment, autrement dit un « dessin de définition ». Le résultat est peu ou prou le même que celui d’un plan de voyage : un début et une fin avec des étapes précises tout du long. Ces deux types de plans sont clairs, formatés, invariants – et faciles à utiliser. Une fois que vous avez compris quoi faire, il ne vous reste plus qu’à vous lancer.
Mais tous les plans n’ont pas ce niveau de précision. Dans un environnement fluctuant et imprévisible, il est nécessaire de faire la différence entre plan et planification. La stratégie militaire en est un parfait exemple.

Inspirez-vous de la stratégie militaire

Helmuth Karl Bernhard Graf von Moltke, aussi connu sous le nom de Moltke l’Ancien, a vécu entre 1800 et 1891. Ce maréchal allemand est considéré comme le créateur d’une nouvelle manière de diriger des armées sur le terrain. Celle-ci consistait notamment à imaginer plusieurs options plutôt qu’un plan unique. Selon Moltke l’Ancien, seul le début d’une opération militaire pouvait être planifié. D’où cette citation restée célèbre : « Aucune opération ne peut se planifier avec certitude au-delà de la première confrontation avec le gros des forces de l’ennemi. » Ce qui a été communément interpreté de la façon suivante : « Aucun plan ne résiste au contact avec l’ennemi. »
Bien plus tard, Winston Churchill (1974-1965) a eu cette formule lapidaire : « Les plans ont peu d’importance, mais la planification est essentielle. » Ancien élève de la prestigieuse Académie royale militaire de Sandhurst, il avait certainement lu Moltke ou entendu parler de son point de vue sur les plans et la planification.
Le général américain Dwight D. Eisenhower (1890-1969) ne voyait pas les choses autrement : « Les plans sont inutiles, mais la planification est tout. » Une citation extraite d’un discours donné à Washington le 14 novembre 1957, à l’occasion de la conférence de la National Defense Executive Reserve, et qu’il explique ainsi : « La différence est fondamentale parce que lorsque vous vous préparez à une urgence, vous devez partir d’un constat : la définition même du terme « urgence » indique qu’il s’agit d’une situation inattendue, donc qui ne va se dérouler comme prévu. » Tout comme Churchill, Eisenhower continue de creuser le sillon tracé par Moltke l’Ancien.
A l’instar de la stratégie militaire, la stratégie d’entreprise est élaborée et mise en œuvre dans un environnement fluctuant et imprévisible, ce qui rend des plus pertinentes la distinction établie par Moltke, Churchill et Eisenhower entre la planification et le plan pour les dirigeants responsables de l’élaboration de la stratégie de leur entreprise. A mon avis, leur point de vue sur la planification se rapproche bien trop souvent de celui du voyageur ou de l’entrepreneur en bâtiment, alors qu’il suffit de les amener à revoir leur façon de penser pour les aider à concevoir des stratégies qui fonctionneront réellement. Qu’est-ce que cela implique ? Laissez-moi partager avec vous quelques principes que j’ai appris au cours des vingt-cinq années que j’ai passées à animer des séances de planification stratégique .

Concevez votre plan comme un système de guidage

Le problème de beaucoup de managers est que leurs attentes ne sont pas en phase avec des objectifs atteignables de façon réaliste par le biais d’un plan stratégique. Ils pensent plus en termes d’itinéraire de voyage ou de dessin de définition. Et croient qu’il leur suffit de se plier à une nécessaire analyse de la situation et de coucher par écrit la manière dont ils comptent voir leur business prospérer pour que le monde ne soit plus incertain. A leurs yeux, le plan stratégique devient un outil de contrôle plutôt qu’un système de guidage. Ils sont mal à l’aise avec le concept fluctuant et incertain de Moltke l’Ancien. Ce qui peut aboutir à une déclaration telle que « Nous avons laissé tomber la planification stratégique », paroles prononcées par un P-DG qui, après avoir « tout » consigné par écrit, s’est rendu compte qu’il avait tout « faux », la situation ayant évolué rapidement. Dans d’autres cas similaires, les équipes dirigeantes finissent tout simplement par ignorer tout document produit.

Soyez attentifs aux désaccords et tournez-vous vers l’avenir

Même si votre plan risque de devenir tout de suite obsolète, vous devez quand même prendre le temps de le coucher par écrit. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première est de mettre au jour des désaccords qui pourraient rester cachés autrement. Vous pouvez avoir toutes les discussions que vous voulez avec votre équipe et penser que votre hiérarchie vous suit, jusqu’à ce que vous condensiez ces discussions sous forme de document écrit qu’un certain nombre de personnes doivent approuver. C’est en formalisant les positions de votre organisation que vous prenez conscience que, non, vous n’êtes pas tous sur la même longueur d’onde. La deuxième raison est qu’un document écrit constitue un socle à partir duquel des changements peuvent être initiés. Le concept de ligne dans le sable peut sembler paradoxal, mais le processus même de préparation du plan vous oblige à réfléchir à l’avenir et à rassembler des ressources. Moltke l’Ancien ne plaidait pas pour l’abandon pur et simple d’un plan pour commencer, mais pour que le plan lui-même ainsi que les gens chargés de son élaboration soient flexibles afin d’être prêts.

Concentrez-vous sur l’organisation et ses principales parties prenantes, pas sur les actions individuelles

Un plan qui ne se soucie que d’actions individuelles ne peut pas être « stratégique ». Agir est certes essentiel à l’exécution et au succès, mais il existe un niveau supérieur – celui de l’organisation. Mon expérience m’a appris que la plupart des managers, au vu de la manière dont ils agissent au sein de leur organisation, ne sont pas pleinement conscients de cette distinction importante. Ce qui peut les amener à se lancer prématurément dans des décisions concernant qui, quoi et quand ou, au moins, à s’emmêler inconsciemment les pinceaux entre l’échelle de l’organisation et l’échelle individuelle. Les stratégies d’entreprise se jouent à l’échelle de la société alors que les actions à mener à celle des individus. Gardez à l’esprit cette logique sous-jacente et faites en sorte que l’entreprise reste fermement concentrée sur l’organisation et sur ses relations avec les principales parties prenantes. Développez ensuite une stratégie d’entreprise pour chacune d’entre elles, tout en reconnaissant les liens de cause à effet qui les lient.

Partez du principe que le plan est un « work in progress »

Un plan stratégique n’est pas un instrument que l’on accorde une fois pour toutes. C’est un document bien vivant qui guide les prises de décisions et permet de mobiliser les ressources. Quand des managers parlent de « laisser tomber la planification stratégique », je pense qu’ils n’ont pas réfléchi à la façon de garder leur plan à jour. Ils doivent d’autant plus souvent le réviser que le contexte évolue rapidement. A quelle fréquence ? Bien entendu, cela varie selon les secteurs, mais, de manière générale, je recommande à mes clients de le faire tous les mois. Si votre comité exécutif se réunit plus souvent, disons chaque semaine, consacrez la première réunion de chaque mois à dresser un état des lieux du plan. Cela vous permettra non seulement de le mettre à jour en fonction des changements constatés, mais aussi de passer en revue les différentes actions censées avoir été menées dans le cadre de son exécution. Dans votre agenda, intitulez ce rendez-vous « avancées versus plan stratégique ».
Moltke l’Ancien n’était pas un homme d’affaires et n’est pas né à l’époque moderne. Malgré cela, je pense qu’il aurait fait un excellent intervenant pour une conférence traitant de notre obsession du moment : la « disruption » . Il avait compris que la Terre n’arrête pas de tourner pendant que nous élaborons nos plans. Il était aussi conscient de l’importance de la planification pour se préparer au changement. Votre plan stratégique est un outil essentiel pour vous permettre d’affronter les vents contraires de la disruption.

Graham Kenny, Directeur général de Strategic Factors, une société de conseil basée à Sydney, spécialisée dans la planification stratégique et la mesure de la performance. Il est aussi président de Reinvent Australia, une organisation dédiée au développement futur du pays.

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