Nouveaux dirigeants : méfiez-vous des bons résultats immédiats
Même s’ils sont à votre portée, ne partez pas en
chasse de résultats positifs immédiats, avant d’avoir réellement pris le
temps de consolider votre leadership.
(HBR France) Aussitôt entré en fonction à un poste clé d’une entreprise qui doit
sérieusement changer sa manière de travailler, la pression monte : on
attend de vous des résultats. Paradoxalement, la meilleure façon d’y
parvenir est de prendre son temps. Les forces qui poussent dans le sens
inverse –
celui de la vitesse effrénée – sont cependant puissantes. Vous
devez prouver, et vite, que vous êtes le leader qu’il faut, capable de
redresser la situation de l’entreprise. C’est pour cela que vous avez
été recruté.
Vous vous concentrez donc sur les points faibles les plus aisément
réformables en apparence : côté coût, peut-être s’agira-t-il d’accélérer
un des processus de production et, côté revenus, ce sera peut-être la
force de ventes qu’il faudra muscler. Cependant, se précipiter sur des
solutions immédiates, même dans des domaines qui ne prêtent pas à
controverse, peut se révéler hasardeux. Pourquoi ? Parce que lorsqu’un
nouveau dirigeant débute dans son poste, les changements ne s’expriment
pas seulement en en termes d’efficacité ou de revenus ; mais aussi de
sentiments de vulnérabilité et d’incertitude des employés quant à leur
avenir.
Peu importe le niveau de maturité et de sophistication du nouveau
dirigeant, se précipiter sur des résultats immédiats peut le priver de
la connaissance nécessaire à la compréhension de la culture et à
l’établissement de bonnes relations de travail. En conséquence, les
gains rapides pourront sous peu se voir réduits à néant ou générer de
nouveaux problèmes de management. Prendre son temps de manière délibérée
permet de comprendre ce que désirent avant tout les gens qui vous
entourent, les effets de votre comportement, les points de résistance et
les ramifications de vos décisions. Résultat : vous contrôlerez
d’autant mieux le rythme de votre transition vers de nouvelles
responsabilités managériales et celui de votre entreprise vers un
nouveau mode de fonctionnement
Le nouveau manager qui part sur les chapeaux de roue
Pour vous donner un exemple de l’importance de contrôler le tempo,
prenons le cas d’un manager que je nommerais Greg. Bien que talentueux
et compétent, il s’est laissé prendre au piège d’un cercle vicieux
d’activités au sein de la grosse entreprise de biens de consommation qui
venait de l’embaucher comme directeur des opérations. Il était alors
présumé successeur du P-DG, qui allait partir à la retraite dans deux
ans.
Greg a retroussé ses manches et s’est mis à travailler comme jamais,
se mettant la pression ainsi qu’à toute l’organisation. Pour se montrer
réactif, il a pris connaissance de toutes les présentations disponibles
et répondait tout de suite aux e-mails reçus. Pour se montrer
accessible, il disait oui à toutes les demandes de réunion et
d’entretien impromptu en tête-à-tête. Toutes cela lui prenait du temps,
mais il voulait faire tout son possible pour prouver au conseil
d’administration – ainsi qu’à ceux devant qui il était passé dans
l’entreprise – qu’il était le prochain P-DG qu’il leur fallait.
Attention aux apparences trompeuses
Ses projets visaient à redéfinir la chaîne logistique pour permettre à
la fois d’économiser des sommes importantes et de raccourcir les
délais. Il voulait aussi monter une nouvelle structure qui accélère la
prise de décision, accroisse la flexibilité et améliore le processus de
création de nouveaux produits. Les managers ronchonnaient et le P-DG ne
semblait pas aussi enthousiaste qu’il aurait dû, mais Greg se disait que
ce n’étaient que les conséquences d’une inévitable résistance au
changement. De toute façon, peu importait : les gens suivaient ses plans
ainsi que les directions données et les résultats étaient au
rendez-vous.
Pour être sûr d’être bien compris, il avait en outre l’habitude de
recourir à une approche en deux temps, chaque demande de sa part étant
suivie d’un « maintenant-je-vous-explique-ce-que-j’ai-voulu-dire ». Et
cela marchait : ses subordonnés l’écoutaient, acquiesçaient et se
montraient rarement récalcitrants. Après seize mois en poste, alors
qu’il préparait son entretien d’évaluation, Greg se demandait quel
serait le montant de son bonus et à quel moment il serait nommé P-DG. Au
lieu de ça, il s’est entendu dire que le P-DG actuel resterait en poste
jusqu’à ce que le directeur financier soit en mesure de lui succéder,
et qu’on lui laisserait la possibilité de donner sa démission. Certes,
les changements qu’il avait mis en place avaient amélioré les
performances de la société, mais il s’était montré incapable de gagner
ses collègues à sa cause, son style étant incompatible avec la culture
d’entreprise.
Greg a appris à ses dépens que les dirigeants échouent rarement à
cause de problèmes stratégiques ou opérationnels, mais parce qu’ils
n’ont pas vraiment conscience de ce qu’ils sont et gèrent mal leurs
relations à autrui. En mettant les gaz, Greg a mal interprété les
réactions du P-DG et raté les signaux indiquant que ses subordonnés
directs voyaient dans sa véhémence le signe qu’il cherchait une
promotion plutôt que de les aider eux ou l’entreprise. Son comportement
ne laissait pas place au feedback et lui a coûté le soutien nécessaire
au succès. Enfin, sa technique de communication en deux temps – une
demande suivie d’une longue explication – s’est retournée contre lui :
les gens ont vite compris qu’il ne leur fallait ni poser de questions,
ni donner leur avis, ni être créatifs
Comment mettre la pédale douce lorsque l’on occupe un poste survolté
Dans « Système 1 /Système 2 : Les deux vitesses de la pensée »
(Flammarion, 2012), le psychologue Daniel Kahneman étudie la complexité
du jugement et soutient que l’existence de différents tempos dans la
prise de décision est utile, car elle nous permet de mieux répondre aux
défis qui se posent à nous. Alors que les décisions liées au combat/à la
fuite/au besoin de se figer doivent être intuitives et rapides, les
actions complexes qui demandent mûre réflexion doivent être prises en
prenant son temps et de façon délibérée.
Pour pouvoir construire des alliances, un nouveau manager doit prendre conscience qu’à ce niveau de poste, un passage de témoin est anxiogène
pour tout le monde. Les employés se demandent en quoi ce que l’on
attend d’eux va changer tandis que les autres cadres dirigeants
s’interrogent sur l’effet que cette nomination aura sur l’assise de leur
pouvoir. Il faudra des mois à l’impétrant pour apaiser les craintes et
gagner la loyauté de ses équipes, une réalité qui s’impose même aux
leaders promus en interne et donc déjà connus.
Les subordonnés suivront leur chef s’ils peuvent compter sur lui.
Mais plus que sa détermination, c’est sa faculté de discernement face à
des défis complexes et lourds qui importe. Les fidèles veulent que leur
leader écoute leurs idées, les incorpore aux siennes et soit capable de
résoudre les difficultés avec doigté. Toutes choses qui impliquent de
contrôler ce qui se passe et de prendre son temps. Certaines techniques
que l’on peut classer en cinq catégories permettent d’atteindre ces
objectifs : contrôle du flux, réflexion, répétition, remise en question
et gestion du silence.
1. Contrôle du flux. Parce qu’un nouveau dirigeant
hérite du système de gestion de son prédécesseur, l’inadéquation entre
le rythme de la nouvelle direction et l’ancien style de prise de
décision peut freiner les progrès vers les premiers succès. Gérer le
flux d’information qui entre dans votre bureau et votre cerveau est
essentiel pour pouvoir bien juger les questions les plus importantes.
Une condition aisément remplie à l’aide d’un simple ajustement
organisationnel : la création d’un poste d’assistant senior,
l’équivalent d’un chef de cabinet, chargé de s’assurer que la bonne
information vous parvient au bon moment et dans le bon format.
2. Réflexion. Contrôler le flux devrait libérer du
temps pour la réflexion afin que vous puissiez mieux saisir les
subtilités des relations et le sens sous-jacent des informations reçues.
Il est extrêmement utile d’avoir des conseillers de confiance — tant en
interne qu’en externe — dévoués à votre succès et possédant une
expertise dans des domaines clés liés à vos projets. S’il n’y a personne
avec qui discuter ouvertement lorsque vous prenez la relève, la
meilleure option est de vous parler à vous-même ; c’est là qu’entre en
jeu le journal personnel.
Les trois tactiques suivantes aident à contrôler le rythme des interactions.
3. Répétition. Même si vous comprenez parfaitement
ce qui a été dit lors d’une réunion ou d’une entrevue individuelle,
répétez ce que vous avez entendu. De même, quand vous voulez vérifier
que vous avez été compris, demandez à votre interlocuteur de répéter vos
propos. En plus de confirmer votre intention, la répétition met
momentanément la discussion en pause et vous permet de réfléchir à la
suite à lui donner.
4. Remise en question. De temps à autre, posez des
questions résumant la situation telles que : « Que venons-nous de
faire ? », « Que s’est-il passé ici ? » et « Quelle leçon tirer de
cela ? » De telles questions obligent à marquer une pause, évitent de se
précipiter sur une décision ou qu’un groupe se forme autour d’une
conclusion erronée. Contrairement aux affirmations qui ne demandent que
l’écoute des auditeurs, les questions exigent d’eux qu’ils
« s’activent », réfléchissent à ce qu’ils vont dire et essaient de
comprendre pourquoi leur supérieur hiérarchique leur a fait cette
demande.
5. Gestion du silence. Prendre son temps avant de
répondre présente un double avantage. Cela donne au dirigeant une chance
de peser le pour et le contre et de décider de la meilleure façon de
répondre, et cela pousse les autres à s’interroger sur ce qui se passe
dans la tête de leur manager, ce qui peut les inciter à penser de
manière plus créative.
Toutes ces mesures auraient grandement aidé Greg. Elles l’auraient
aidé à ralentir le rythme de ses interactions et de ses décisions, ce
qui lui aurait permis de prendre conscience de la manière dont il était
perçu et de peser soigneusement les conséquences de ses décisions. Il se
serait détaché de l’action et aurait pris un recul suffisant pour mieux
juger de la situation. Il aurait été plus susceptible de se rendre
compte que la façon dont il avait obtenu ses premiers succès
était aussi importante que les résultats eux-mêmes. S’il avait pris son
temps, aujourd’hui Greg serait P-DG.
Dan Ciampa, Conseiller auprès de top managers, en
particulier dans le cadre des transferts de dirigeants. Ancien P-DG, il
est le coauteur de “Right from the Start : Taking Charge in a New
Leadership Role” (Harvard Business School Press, 1999) et de
« Transitions at the Top : What Organizations Must Do to Make […]
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