Croissance pour tous
Par Rousseau-Joël FOUTE, Cameroon Tribune
Le 16 juin 2015 à Douala, à l’ouverture d’un atelier sous-régional sur
le thème : « Mesurer l’exclusion humaine dans une optique de
transformation structurelle - l’Indice africain de développement social
», Iris Macculi, expert
de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (Cea), a
livré des chiffres interpellateurs. En affirmant qu’il y a 20 ans,
l’Afrique comptait 180 millions de pauvres. En
fin 2015, a-t-il ajouté,
ce nombre devrait passer à 400 millions. Cette triste réalité, pour les
observateurs, est en même temps un énorme paradoxe, dans la mesure où
aujourd’hui, l’Afrique est présentée comme le deuxième pôle de
croissance au monde, juste derrière les pays émergents. Depuis une
dizaine d’années, en effet, le continent enregistre une croissance
économique sans précédent. Le niveau de croissance réel de son produit
intérieur brut (Pib) s’est établi en moyenne à environ 5,5%, malgré les
chocs divers.
Cependant,
en dépit de ces bonnes performances économiques, les conditions de vie
des populations n’ont pas connu d’amélioration significative et la
plupart des pays du continent enregistrent des taux de pauvreté encore
élevés, à l’exception de l’Afrique du Sud, du Maroc, de la Tunisie et de
l’Egypte. Dès lors, comment comprendre que dans la plupart des cas,
cette croissance ne s’accompagne pas de réduction de la pauvreté ?
Comment expliquer le fait que non seulement le nombre de pauvres
augmente, mais, en plus, que les inégalités se creusent davantage ?
Selon les statistiques disponibles à ce sujet, en Afrique subsaharienne,
un enfant sur neuf meurt avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans, soit
16 fois plus que la moyenne des pays développés ; deux enfants africains
sur cinq de moins de cinq ans présentent un retard de croissance ; 133
millions de jeunes africains sont analphabètes, la majorité étant des
femmes. A coup sûr, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond et que
les économistes devraient expliquer. Ils font savoir justement que le
taux de croissance démographique demeure plus élevé que celui de la
croissance économique. D’où l’augmentation, en valeur absolue, du nombre
de pauvres. En clair, le nombre de nouveau-nés est supérieur à la
quantité de richesses créée. En outre, les bénéfices de cette croissance
« ne sont pas partagés » équitablement. Il y a donc, d’une part, un
petit groupe qui jouit des fruits de la croissance, et, d’autre part,
des centaines de millions de laissés-pour-compte, abandonnés sur le
bas-côté de la route.
Que faire, dans ces conditions, pour inverser la
tendance, afin que la croissance profite, sinon à tous, mais au moins au
plus grand nombre ?
A Abuja en 2014, lors d’une
conférence internationale sur « l’industrialisation au service du
développement inclusif et de la transformation en Afrique », Carlos
Lopes, secrétaire exécutif de la Cea, a fait valoir que l’Afrique doit
passer d’une croissance moyenne de 5 à 6% par an au taux magique de 7%,
le minimum requis pour que doublent les revenus moyens en dix ans.
Ensuite, soutient-il, l’Afrique doit s’industrialiser en transformant
sur place ses abondantes matières premières exportées à tort à l’état
brut. Seulement, prévient-il, l’industrialisation est une entreprise
concurrentielle et l’Afrique doit trouver la recette-miracle qui fera
d’elle « l’un des étages de l’usine du monde ». Comment ? D’après
l’orateur, l’Afrique doit utiliser au mieux sa position de négociation,
en maximisant la demande d’ajout de valeur dans les produits de base
pour lesquels elle est en position dominante. Pour cela, elle doit
mettre à profit ses atouts : 12% de réserves mondiales de pétrole, le
plus grand potentiel d’énergie renouvelable, 40% de l’or mondial, 80 à
90% du chrome et du platine, 70% du coltan, 60% des terres arables
inutilisées, 17% des forêts ou encore 53% du cacao du monde produits par
deux pays, la Côte d’Ivoire et le Ghana. De plus, seulement 10% de tout
ce que les Africains consomment sont des produits industriels, ce qui
signifie que 90% doivent encore être transformés. Une situation qui
génère une opportunité énorme d’investissement et de création d’emplois.
Par ailleurs, l’essentiel du milliard d’habitants que compte l’Afrique
est constitué de jeunes. En matière de production énergétique, le vaste
potentiel de biomasse et d’énergie hydroélectrique, géothermique,
éolienne et solaire doit être mis en valeur. Il suffit de capitaliser
les connaissances scientifiques et techniques existantes en les adaptant
à nos réalités.
En troisième lieu, l’Afrique devrait tirer profit
de sa consommation intérieure dynamique. Car la croissance de la
population africaine, l’expansion de la classe moyenne et l’urbanisation
rapide continueront d’accroître la demande de biens de consommation. Un
créneau juteux pour l’industrie agro-alimentaire, qui doit répondre à
cette demande d’aliments transformés, et une opportunité lucrative pour
un grand nombre de petits exploitants agricoles, sans oublier les
fournisseurs de services. Enfin, il est impératif de promouvoir une
plus grande intégration régionale en Afrique, en levant les obstacles
tarifaires et non-tarifaires qui entravent le commerce intra-africain.
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