Discours-Makhtar Diop: La croissance chinoise, une source d’enseignements pour l’Afrique
Beijing, Chine, 13 janvier 2015
Professeur éminent QIAN Yingyi, doyen de l’École d’économie et de
gestion de Tsinghua (SEM), Professeur éminent BAI Chong-En, vice-doyen,
Distingués enseignants, Chers invités, Mesdames et messieurs, Bon
après-midi.
C’est pour moi un grand honneur et un plaisir d’être ici aujourd’hui à
l’université Tsinghua. Je voudrais vous dire ma profonde gratitude pour
l’occasion unique que vous m’offrez
de m’adresser à vous aujourd’hui et
pour l’accueil chaleureux que vous avez réservé à ma délégation et à
moi-même. Votre invitation m’honore, et c’est avec humilité que je
prends la parole dans cette prestigieuse université, qui s’enorgueillit
de tant d’illustres diplômés.
On parle beaucoup de la Chine et de l’Afrique dans les médias : une
récente recherche en ligne a permis de recenser plus de 51 millions
d’articles ! Bon nombre de ces articles portent sur les investissements
actuels de la Chine en Afrique — énergie solaire au Malawi, énergie
nucléaire en Afrique du Sud, production pétrolière au Soudan du Sud — et
les arguments avancés concernent essentiellement les investissements et
les projets d’affaire de la Chine dans les pays africains. En 2012, un
quart des marchandises exportées par l’Afrique ont été envoyées en
Chine.
Le commerce entre la Chine et l’Afrique a commencé longtemps avant la
phase actuelle d’investissements et l’éventail d’interprétations qui
l’accompagne. À titre d’exemple, des pièces de monnaie chinoise de la
dynastie Song, qui a existé il y a plus d’un millier années (960-1279),
ont été retrouvées en Tanzanie. Des navires battant pavillon chinois ont
mouillé sur la côte kenyane dans les années 1400, y laissant de la
porcelaine chinoise et embarquant des girafes pour la Chine. En Afrique,
nous nous félicitons de la longue et riche histoire que nous partageons
avec la Chine, qui accompagne nos pays sur la voie du développement
économique depuis leur accession aux indépendances plus de cinquante
années auparavant. La Chine nous a appris que l’histoire compte — tout
comme un ferme engagement en faveur de la croissance et du
développement.
En tant qu’Africain qui observe la Chine, je ne veux pas me limiter
aujourd’hui à l’histoire des échanges entre l’Afrique et la Chine. Les
retombées positives des investissements chinois sur le développement du
continent vont bien au-delà d’une simple relation mercantile basée sur
l’extraction et l’exportation de matières premières.
Alors que j’entreprends cette visite, ma troisième dans ce pays, je
souhaite puiser dans l’expérience et les succès de la Chine pour
déterminer comment la Banque mondiale peut travailler avec ses pays
clients en Afrique pour tracer une trajectoire soutenue de croissance
économique — une croissance plus inclusive susceptible de réduire la
pauvreté et promouvant une prospérité partagée. En cette période de
baisse des prix des matière premières, je tiens particulièrement à
étudier l’expérience chinoise pour en tirer des leçons pour l’avenir.
Ce que l’Afrique peut apprendre de la croissance chinoise – Il est possible de changer le cours de l’histoire – La Chine l’a fait
En 1978, la Chine était l’un des pays les plus pauvres du monde.
Depuis lors, son revenu par habitant a augmenté de plus de 8 % par an en
moyenne — ce qui constitue un taux remarquable. En Afrique par contre,
le revenu par habitant n’a cessé de diminuer entre 1976 et le milieu des
années 1990. Depuis, l’Afrique enregistre une croissance constante,
mais très hétérogène d’un pays à l’autre : la croissance est en effet
bien plus rapide dans les pays riches en ressources naturelles que dans
les autres. Quelles leçons l’Afrique peut-elle tirer de la croissance chinoise ?
L’Afrique connaît une reprise notable de sa croissance économique
depuis le milieu des années 1990. Le taux de croissance moyen du PIB
réel était de 4,5 % par an durant la période 1995-2013, près d’un
cinquième des pays de la région affichant un taux moyen de 7 % par an ou
plus. Sur ce plan, l’Afrique soutient la comparaison avec des pays en
développement d’autres régions du monde, et n’est surpassée que par
l’Asie de l’Est et le Pacifique. D’une façon générale, l’économie
régionale a plus que doublé de taille (en valeur réelle) pendant cette
période. Les résultats de la récente révision de l’indice de base des
comptes nationaux — l’économie ghanéenne représente 60 % de plus que ce
qu’on pensait, et celle du Nigeria pèse environ 80 % plus lourd —
laissent supposer que l’économie africaine a probablement connu un
développement bien plus important que ce qu’on croyait.
Il est probable que le continent affiche une croissance de 4,6 % en
2015, qui atteindra 5,1 % en 2017, sous l’impulsion de l’investissement
dans les infrastructures, l’augmentation de la productivité agricole et
l’expansion du secteur des services. Sur le plan extérieur, la
croissance africaine est étroitement liée à l’envolée des prix des
matières premières — croissance en Chine et émergence de cette dernière
comme un des principaux marchés et partenaires d’investissement du
continent – ainsi qu’à l’essor des flux financiers internationaux. Sur
le plan intérieur, une gestion macroéconomique soutenue et améliorée
dans la région a entrainé une baisse de la l’inflation, de meilleurs
résultats budgétaires et une réduction de l’instabilité de la
croissance. La vulnérabilité aux crises a fortement diminué alors que la
région devenait moins sujette aux chocs macroéconomiques. La façon dont
le continent africain a surmonté la crise financière de 2008 est une
bonne indication de la résilience de son économie. Qui plus est, le
cadre réglementaire a été renforcé, comme en témoigne l’amélioration de
nos indicateurs Doing Business.
Il convient cependant d’émettre quelques réserves : la croissance
africaine est basée sur une accumulation de facteurs, particulièrement
dans des secteurs à haute intensité de capital ; l’élasticité de la
pauvreté par rapport à la croissance est très faible ; très peu
d’emplois de qualité sont créés, ce qui donne lieu à un accroissement
insuffisant des revenus ; la croissance est plus rapide dans des
secteurs à forte intensité de capitaux et peu productifs ; et la
croissance par habitant est plus faible que dans d’autres pays en
développement, en raison d’un taux de fécondité élevé. Ce modèle
d’accumulation de facteurs en Afrique va rencontrer des obstacles alors
que nous entrons dans une ère de baisse des prix des produits de base.
Aujourd’hui, je vais axer mon intervention sur une leçon essentielle —
la priorité accordée par la Chine à l’augmentation de la productivité —
et l’accent mis, à cet égard, sur des investissements substantiels et
rapides dans le capital humain et physique, des taux d’épargne élevés et
une capacité commune à œuvrer systématiquement en faveur d’objectifs à
long terme. Je suis convaincu que les pays africains peuvent tirer de
précieux enseignements de la façon dont la Chine a pu se placer sur
cette trajectoire constante de croissance.
Productivité
La croissance soutenue du PIB réel en Afrique — qui était de 5 % par
an en moyenne durant la décennie écoulée — a été rendue possible par la
solidité des fondamentaux sous-jacents en matière d’inflation, de
déficits budgétaires et de viabilité des finances publiques. Elle est le
résultat d’une accumulation de facteurs, les investissements dans les
industries extractives et d’autres matières premières contribuant à
l’accroissement de la main d’œuvre. Aussi positive soit-elle, cette
croissance équivaut en fait à 2,1 % de croissance réelle par habitant :
elle ne s’est pas accompagnée d’une augmentation de la productivité et a
été davantage limitée par une démographie galopante. En fin de compte,
les économies africaines doivent surmonter le défi de la productivité
pour faire l’expérience d’une croissance soutenue et inclusive et réduire la pauvreté de façon globale.
La Chine a enregistré des hausses de productivité spectaculaires au
cours des dernières décennies. Au départ, cette hausse de la
productivité était portée par le secteur agricole, puis par les
entreprises municipales et rurales durant les décennies 1980 et 1990, et
ensuite par des sociétés privées et un secteur public restructuré dans
les années 2000.
Comme je viens de le mentionner, la croissance récente en Afrique est
fortement dépendante des exportations de matières premières et de
produits de base. La majeure partie de la population travaille encore
dans l’agriculture, et si elle s’est massivement orientée vers les
services, la croissance de ce dernier secteur se limite surtout à des
activités à faible productivité comme la production et le commerce
informels. Il existe cependant d’autres exemples, comme l’essor des
industries manufacturières en Ouganda, et l’entrée du Rwanda dans le
secteur des services. La croissance du secteur de la transformation en
Afrique est soutenue dans une certaine mesure par la Chine, comme dans
le cas de la fabrique de chaussures Huajian en Éthiopie, qui a été
établie en 2012 et est devenue bénéficiaire dès sa première année de
fonctionnement.
Le secteur manufacturier n’est toutefois pas le seul moyen de
remonter la chaîne de valeur, en partant de l’exportation de matières
extractives. Il est aussi possible de fournir des produits agricoles à
plus forte valeur ajoutée, comme la farine de manioc au Nigeria, les
fleurs coupées au Kenya ou le chocolat à Madagascar. Ces réformes
peuvent générer certains des gains de productivité agricole dont
l’Afrique a besoin. Quelques pays sont parvenus à diversifier leurs
exportations : le Rwanda exporte plus de légumes et de boissons, tandis
que l’Éthiopie a accru ses exportations de cuir et développé sa filière
horticole. Toutes ces trois stratégies — s’engager dans le secteur de la
transformation, progresser dans la chaîne de valeur agricole et
diversifier les exportations — peuvent aider l’économie africaine à
accroître aussi bien sa productivité que sa résilience aux aléas de la
conjoncture mondiale.
Croissance favorable aux pauvres
Au-delà de la croissance, l’augmentation de la productivité en Chine a
énormément profité aux pauvres. Entre 1981 et 2004, la proportion des
personnes vivant avec moins d’un dollar par jour est passée de plus de
deux tiers de la population à moins d’un habitant sur dix. Une récente
analyse comparative de l’impact de la croissance sur la pauvreté en
Chine, en Inde et au Brésil indique que la croissance chinoise a
entraîné une baisse de la pauvreté d’un niveau supérieur de 50 % aux
résultats du Brésil et bien plus important encore qu’en Inde. Cela est
particulièrement vrai pour la croissance de l’agriculture, dont l’effet
sur la réduction de la pauvreté est quatre fois plus important que celui
du développement du secteur manufacturier ou des services. >>>
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