Louis Paul Motazé : «le gouvernement fait des efforts pour attirer les investissements»
Par BOD et BRM, Investir au Cameroun - Nous vous proposons
ci-dessous des extraits d’un entretien avec le ministre camerounais de
l’Economie, dont l’intégralité sera publié dans le magazine Investir au
Cameroun de ce mois de mars 2016, à paraître dans les prochains jours.
Dans
son allocution de fin d’année, le chef de l’Etat a de nouveau
stigmatisé les lenteurs administratives, qui sont parmi les freins au
développement économique du Cameroun. A votre avis, pourquoi est-il si
difficile de lutter
contre les lenteurs administratives, qui freinent
par exemple l’industrialisation du pays ?
Je
vais vous raconter une anecdote qui va vous surprendre. L’année
dernière au mois de mars, j’ai assisté, avec les ministres de
l’Economie, à un forum à Genève. J’y ai rencontré un ancien Premier
ministre de Bulgarie, je crois, qui était venu faire un exposé sur le
Doing Business. Notamment sur les efforts que son pays avait fait à
l’époque, pour gagner 40 points dans ce classement. Nous avons essayé de
parcourir l’ensemble des décisions prises par ce pays à cette
époque-là, et nous nous sommes rendu compte que le chef de l’Etat
camerounais avait déjà pris ces mêmes décisions en 1990.
Notre
chef de l’Etat avait déjà pris des décisions futuristes en 1990, avec
le vent des lois sur les libertés, y compris sur la liberté des
affaires, la liberté d’entreprendre. Par exemple, lorsqu’un opérateur
économique sollicitait un agrément, au lieu d’attendre indéfiniment de
l’obtenir, c’est l’administration qui avait un délai pour se prononcer.
Passé ce délai, l’accord était tacite. Mais, qu’est-ce que
l’administration a fait ? Elle n’a pas cru devoir s’arrimer à ces
nouvelles décisions, au prétexte qu’elle risque de perdre son pouvoir.
Donc,
nous avons effectivement une administration qui est lourde, mais cela a
également ses avantages. Cela permet, par exemple, de suivre et de
respecter les procédures. Vous savez, quand il n’y a pas des procédures,
c’est un peu la porte ouverte aux dérives. Mais, quand les procédures
sont longues et rébarbatives, ça peut effectivement poser un certain
nombre de problèmes.
En
2013, une loi portant incitations à l’investissement privé au Cameroun a
été votée par l’Assemblée nationale. Mais, si l’on en fait le bilan
aujourd’hui, force est de constater que les avantages qu’elle induit
sont accordés à des opérateurs économiques dont les projets ne sont
toujours pas jusqu’ici implémentés…
Est-ce
que vous savez que cette loi est critiquée ? Lors de son récent passage
au Cameroun, Mme Lagarde, la DG du Fmi, a dit qu’il n’y a pas que cela à
faire ! Depuis longtemps, le gouvernement a compris qu’il fallait
prendre un certain nombre de mesures visant à inciter les investisseurs à
s’installer au Cameroun et a, de ce fait, concocter la loi de 2013.
Après, il y a un courant de pensée selon lequel le gouvernement a
accordé trop d’avantages aux investisseurs dans le cadre de cette loi.
Voilà ce qui est critiqué dans la loi de 2013 !
Bref,
le gouvernement camerounais fait des efforts pour attirer les
investissements dans le pays. Et dieu merci, cela commence à produire
des résultats, puisque beaucoup de conventions ont déjà été signées dans
le cadre de cette loi. Des entreprises s’installent et il est question
d’en attirer davantage.
Pour
ce qui est de cette loi, nous nous sommes dit qu’au lieu de percevoir
les recettes dès le départ, ce qu’on appelle la fiscalité de porte, il
vaut mieux laisser d’abord l’activité se créer et percevoir les recettes
plus tard. C’est un modèle qui a fait ces preuves ailleurs, notamment
dans des pays tels que Dubaï ou encore l’île Maurice.
L’autre
modèle c’est de se dire, surtout à l’heure actuelle où les prix des
matières premières (dont le pétrole) sont en baisse, qu’il faut
davantage mobiliser les recettes non pétrolières, parmi lesquelles ont
retrouvent les impôts et les taxes. Ce modèle a également ses
défenseurs, parmi lesquels Mme la DG du Fmi, puisque c’est cette thèse
qu’elle a défendu lors de sa visite au Cameroun.
Ces
deux modèles ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Mais,
au Cameroun nous avons besoin d’attirer les investisseurs. Maintenant,
peut-être qu’il est important d’améliorer le ciblage des bénéficiaires
de cette loi, parce que l’inconvénient d’avoir quelque chose de général
est que tout le monde peut en bénéficier, y compris ceux qui n’en n’ont
forcément pas besoin.
Vous
semblez toujours optimiste lorsque vous évoquez la question des APE
entre le Cameroun et l’Union européenne. Qu’est-ce qu’il y a de positif
dans ces accords, alors que le Cameroun va ouvrir à 80% ses frontières
aux produits des pays nettement plus industrialisés ?
Vous
savez, je pense qu’il faut être positif dans la vie. Au lieu de pleurer
ou de critiquer, je pense que le mieux pour nous est de nous poser la
question de savoir ce qu’on va tirer des APE. On n’a pas suffisamment dit que
les 80% dont vous parlez sont progressifs. Il y a un calendrier de
démantèlement. Et je crois me rappeler que la première phase de ce
démantèlement concerne les produits qui sont importants pour nous,
notamment les équipements, qui serviront à moderniser notre économie.
Si
aujourd’hui vous apprenez, par exemple, que vous pouvez acheter un
véhicule qui coûtait 30 millions à 12 millions de FCfa parce que les
frais de douane ne s’appliquent plus, dites-moi si c’est une mauvaise ou
une bonne chose ! Les premiers produits qui vont faire l’objet de
libéralisation ne sont pas des produits qui entrent en concurrence avec
les produits fabriqués localement. Ce sont davantage des produits qui
vont nous aider à mieux fabriquer les nôtres.
Donc,
il vaut mieux se dire que les APE, comme toute médaille, ont leur
revers, mais intéressons-nous au bon côté de la médaille. Plus nous
allons bien exploiter les APE, parce que nous allons importer à moindre
coût des équipements qui nous coûtent jusqu’ici trop cher à
l’importation, plus nous deviendrons compétitifs.
Le
second avantage des APE c’est l’ouverture des marchés. Nous avons des
choses à vendre. Et l’Union européenne se propose de nous ouvrir son
marché sans contingentement. De ce point de vue, le problème est que
c’est notre production qui risque d’être insuffisante alors que des
marchés nous sont ouverts. Comme l’Agoa avec les Américains, les APE
sont une possibilité qui nous est offerte d’exporter.
Ma
conviction c’est qu’aucun pays au monde ne s’est développé en
s’enfermant derrière les barrières douanières. Si vous en avez un,
montrez-le moi ! J’ai presqu’envie de vous dire qu’ailleurs, la douane
n’est pas tellement considérée comme une source de recettes. La douane
est considérée comme un instrument de politique industrielle.
Propos recueillis par
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