La guerre mondiale des talents est déclarée
Par Valerie Landrieu , lesechos.fr, 06-12-2013
L’Insead lance un « Pisa » des talents, en mesurant la compétitivité des pays en la matière. Le cabinet de recrutement britannique Hays explore l’adéquation compétences/emplois.
Les chiffres, vertigineux, s’accumulent.
D’ici aux vingt prochaines années, 40 millions de « talents » pourraient
venir à manquer à travers le monde tandis que les économies émergentes
– indiennes, sud-asiatiques et africaines – se retrouveraient à court de
quelque 45 millions de professionnels de niveau intermédiaire, dotés de
compétences techniques (étude McKinsey 2012). Dans le même temps,
90 millions de travailleurs faiblement qualifiés viendraient constituer
un dangereux trop-plein... Plus proche de nous : d’ici à 2015, dans une
Europe minée par le chômage des jeunes, 900.000 postes du secteur des IT
(technologies de l’information et de la communication) demeureraient
vacants, faute de compétences.
Une corrélation entre talents et innovation
La « guerre des talents »
menée par les entreprises ? Le sujet, devenu banal, prend un autre
relief si on le considère à l’échelle des nations, surtout après
l’annonce du dernier classement Pisa de l’OCDE. Ressources clefs, les
compétences professionnelles sont désormais considérées comme « le moteur »
de la compétitivité et de l’innovation d’un pays. La publication, à
quelques jours d’intervalle, de deux indicateurs sur les talents et les
compétences à l’échelle du globe peut contribuer à la réflexion.
Dix
ans après le lancement de son rapport mondial sur les technologies de
l’information, cinq ans après celui sur l’innovation, l’Insead a décidé
de lancer avec le Human Capital Leadership Institute de Singapour, en
partenariat avec le géant suisse de l’intérim Adecco, un « Indice global
de compétitivité des talents » (GTCI, pour Global Talent
Competitiveness Index). Objectif annoncé : évaluer ce que les Etats font
pour « cultiver, attirer et retenir les talents », résume Bruno Lanvin, directeur exécutif en charge des indices mondiaux à l’Insead.
Cent-trois pays ont été passés au crible de 48 variables pour un classement « sans contradiction majeure » :
« Il existe une très forte corrélation entre le PIB et l’indice des talents ». Et un enseignement à prendre en considération : «
Ce sont les pays qui font le plus d’efforts pour attirer et retenir les
talents qui sont les plus performants en matière d’innovation. » Au delà de ces conclusions générales, de bonnes surprises viennent d’Europe : « On ne s’attendait pas à voir huit pays européens sur les dix premiers classés, et seize dans le top 20 », relève Bruno Lanvin, faisant valoir la tradition des systèmes d’éducation du Vieux Continent.
La
démarche de Hays est légèrement différente. Pour le cabinet de
recrutement britannique qui publie, cette année, la deuxième édition de
son « Index mondial des compétences », il s’agit directement d’« identifier les éventuels déséquilibres entre les compétences disponibles et celles recherchées par les employeurs »,
en croisant, avec les prévisionnistes d’Oxford Economics, les chiffres
officiels et les données de ses bureaux, via sept critères.
Suisse, Singapour, Danemark, Suède...
En
définitive, que ce soit pour leur gestion des talents ou pour
l’efficacité de leur marché du travail, les mêmes champions sont
identifiés : la Suisse, décidément bonne élève des classements
internationaux (elle a gagné trois places dans Pisa), Singapour, le
Danemark, la Suède et le Luxembourg. Première pour quasiment tous les
critères de l’Insead, la Suisse « est l’un des pays au monde qui a le mieux établi les pratiques liées à l’apprentissage »,
explique Bruno Lanvin. C’est aussi l’un des leviers des pays nordiques
du top 5 : ils ont fait évoluer plus rapidement que les autres leurs
systèmes éducatifs en privilégiant la qualification et l’employabilité.
La Pologne, « remarquable » trente-deuxième position dans le classement Insead, se distingue, elle, par « un marché du travail – et des compétences – proche de l’équilibre », selon Hays. C’est le pays qui « affiche le plus haut taux de croissance européen des dernières années et qui a bénéficié d’un solide et rigoureux système d’apprentissage », remarque le directeur exécutif de l’Insead. C’est aussi « le sixième pays au monde pour le pourcentage de la force de travail bénéficiant d’un niveau secondaire d’éducation ». Et celui qui a gagné treize places dans Pisa.
Sciences et techniques
Hays et l’Insead se retrouvent sur un même constat quant à «
une inadéquation grandissante entre les besoins des entreprises en
termes de compétences et ceux que les marchés locaux du travail ont à
fournir ». De quoi s’agit-il ? D’un manque de compétences
techniques et scientifiques, qui fait l’unanimité sur le globe.
Technologies, IT, cloud computing, nucléaire, informatique et même BTP…
Le monde veut des ingénieurs ! L’Allemagne ne fait pas exception. Elle
bataille pour trouver suffisamment de talents à compétences techniques,
mathématiques, biologiques et informatiques pour combler quelque
90.000 postes vacants d’ingénieurs et de techniciens. « C’est une
constante partout. Les ingénieurs qualifiés, et plus encore avec
plusieurs années d’expérience, ont le choix de leurs postes. Sur cinq
offres d’emploi, un candidat aura cinq propositions d’embauche », explique Alistair Cox, le directeur général d’Hays. Les ingénieurs, certainement mais, « la combinaison des talents, les double-formations sont aujourd’hui très recherchées », selon Bruno Lanvin.
En
schématisant, par zones géograhiques, il faudrait des techniciens et
des ingénieurs pour l’Afrique, des enseignants pour l’Inde, du personnel
de santé intermédiaire pour l’Europe, notamment en Suisse et au
Royaume-Uni, et encore des ingénieurs pour le Japon. S’appuyant sur les
observations de ses bureaux locaux, Hays met aussi en avant une pénurie
de travailleurs très qualifiés au Brésil, au Canada, au Chili, au
Mexique, à Hong-Kong et en Belgique. Mention spéciale pour les Pays-Bas,
où les « compétences spécialisées sont très recherchées » et où « les candidats dotés de compétences internationales constatent qu’ils peuvent travailler pour l’employeur de leur choix », selon Robert van Veggel, directeur général de Hays Pays-Bas.
Pénurie de compétences internationales en France
Les « compétences internationales »
sont justement des points faibles de la France, qui affiche toutefois
des performances assez homogènes dans le rapport Insead (20e rang). Hays note dans l’Hexagone «
la même demande pour les métiers de l’ingénierie, de l’informatique, de
la R&D et du BTP que partout ailleurs dans le monde »,
explique Tina Ling, la directrice générale France et Luxembourg. A noter
par ailleurs : le secteur bancaire, qui avait essuyé un revers avec la
crise en 2008, est de nouveau en quête de gestionnaires de risques.
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