2 800 milliards non décaissés sur les emprunts du Cameroun
Face au
démarrage tardif des projets de développement et la faiblesse du taux
des décaissements des fonds alloués à la réalisation desdits projets, la
Caisse autonome d’amortissement du Cameroun (CAA)
vient de procéder à la sensibilisation et la vulgarisation d’un manuel
de procédures simplifiées des projets de l’Etat. Un système
d’information a également été mis en place. Sur la nécessité de la
création de ces outils et l’impact escompté, CT est allé
à la rencontre
de Dieudonné Evou Mekou, directeur général de la CAA.« Le retard dans les décaissements impacte négativement la croissance »
Dieudonné Evou Mekou, directeur général de la Caisse autonome d’amortissement (CAA).
Monsieur le Directeur Général, la CAA vient d’élaborer tout un manuel de procédures simplifiées pour la gestion et le décaissement des crédits extérieurs accordés au Cameroun. Est-ce à dire que les anciennes procédures étaient complexes ?
Dans une certaine mesure l’on peut effectivement dire qu’il y avait une certaine difficulté de compréhension dans les procédures de certains bailleurs de fonds. Chacun ayant en fait des procédures qui lui sont propres. Les coordonnateurs des Unités de gestion des projets se retrouvaient ainsi à perdre un temps précieux pour comprendre lesdites procédures et à les appliquer correctement. Or, en réalité, quelque soit le financement concerné, les exigences de mise en vigueur et de décaissement des différents bailleurs de fonds sont similaires. Quelques fois seuls les termes utilisés sont différents. Il en est de même s’agissant de leurs exigences et conditionnalités qui sont quasiment identiques, car obéissant à certains principes en vigueur en matière de gouvernance financière. D’où l’idée d’un manuel de procédures simplifiés, qui est censé faciliter la tâche aux Coordonnateurs des projets, notamment en accélérant leur démarrage et les décaissements subséquents.
Avant d’arriver au manuel de procédures simplifiées, vous avez mené toute une étude sur les facteurs qui entravent la capacité d’absorption des fonds alloués dans le cadre de l’aide extérieure. Quels en sont les principaux résultats ?
L’étude sur les facteurs qui entravent la capacité d’absorption des fonds alloués aux projets à travers des financements extérieurs, menée aussi bien au sein de l’Administration camerounaise qu’avec l’appui de certains partenaires au développement a effectivement permis d’identifier et répertorier des causes de plusieurs natures et d’origines diverses. D’une manière générale, on les retrouve aux différents stades de la maturation des projets. De l’idée de projet à son démarrage effectif sur le terrain en passant par les étapes intermédiaires, qui s’agissant, par exemple, des projets d’infrastructures sont : la recherche des assiettes foncières, les études d’avant projets sommaires, les études d’avant-projet détaillés, etc.
Cependant, s’agissant de la CAA, et avec l’appui de la Banque mondiale, nous nous sommes essentiellement attelés à chercher des solutions pour les facteurs de retard pour lesquels nous étions en mesure soit d’apporter des améliorations, soit de proposer des solutions pertinentes. D’où l’élaboration du manuel de procédures simplifiées mis à la disposition des Coordonnateurs des Projets et l’acquisition au niveau de la CAA du progiciel SIGED (Système Intégré de Gestion des Décaissements) destiné à automatiser certaines opérations de décaissement.
En plus du manuel, vous avez conçu un système informatique. Quel impact espérez-vous de la mise en application de ces nouveaux outils dans la gestion des projets dont les fonds sont domiciliés à la CAA ?
L’impact attendu de cet ensemble d’outils est essentiellement d'une part le gain de temps dans le traitement des différentes demandes de décaissements que les projets adressent à la CAA et d'autre part la réduction à la portion congrue des rejets des dossiers au motif qu'ils sont incomplets. Ce qui contribue naturellement à améliorer les délais de réalisation des projets étatiques. Cette célérité devrait encore s'accroitre avec la possibilité d'interfaçage qui sera incessamment proposé aux projets, leur permettant d’adresser leurs demandes de décaissement à la CAA, directement par voie électronique travers l'arrimage « SIGED to Tom2pro ».
En dehors du manuel et du logiciel, quelles autres mesures sont mises en œuvre par la CAA pour l’amélioration de la capacité d’absorption des fonds d’emprunts ?
Hormis les deux outils suscités la CAA a aussi entrepris de puis quelques temps de reconfigurer son organisation interne. Cela s'est traduit par l'adoption d'un nouvel organigramme lors de son Conseil d'Administration du 24 juin 2015 qui a notamment consacré une architecture organique se déclinant en lignes métiers Front-office, Middle-office et Back-office et le renforcement de la fonction d'audit. L'ensemble de ces réformes étant réalisé dans le cadre d'un programme plus vaste et plus ambitieux de renforcement des capacités institutionnelles de la CAA (PRCI).
Des sources concordantes font état de projets de développement affectés par la mauvaise gestion des crédits tant décriée. Qu’en est-il exactement ?
A la CAA, nous n'avons aucun indicateur pour apprécier la bonne ou la mauvaise gestion des crédits affectés aux projets d'investissement ou de développement. En revanche, depuis quelques années nous disposons d'un nouvel indicateur général de suivi du phénomène de sous-consommation des emprunts : il s'agit des Soldes Engagés Non Décaissés (SEND). Plus leur volume est élevé, plus il y a proportionnellement des projets "en souffrance", pour cause de décaissements insuffisants ou lents. Au dernier pointage, il y a quelques semaines, nous étions à plus de 2800 milliards de F CFA. Rapporté à un encours de la dette de l'ordre de 3800 milliards, cela est tout de même considérable et rend parfaitement compte de l'ampleur de la problématique de la sous-consommation de crédits d’investissement.
Concrètement, c’est quoi le problème lorsqu’on décaisse lentement ?
Le retard dans les décaissements peut induire plusieurs conséquences néfastes pour l'économie et les finances publiques d'un pays.
En effet, non seulement les prévisions de croissance liées à la réalisation de certains projets stratégiques ou structurants peuvent ne plus être atteintes, mais aussi, il y a un renchérissement des financements mobilisés pour les projets à travers l'accroissement des charges telles que les commissions de gestion payées pendant plus longtemps et les commissions d'engagement plus élevées car assises et proportionnelles aux montants des crédits non encore décaissés.
Qu’est-ce qui est fait de l’argent qui reste aussi longuement dans les caisses, peut-on l’utiliser à d’autres fins ?
Hélas ! non, ce n’est pas possible. Car lorsqu’un bailleur de fonds accorde un financement à un Etat c’est pour un projet bien précis. C’est dire que cette ressource ne peut pas être utilisée à d'autres fins sans l'avis express dudit bailleur. De plus, dans la plupart des cas, cet argent, non seulement, n'est pas décaissé en une seule fois, mais au fur et à mesure que le projet progresse et qu'il y a des factures ou décomptes à payer pour les prestations y relatives, mais très souvent aussi c'est le bailleur de fonds lui-même qui paye directement les prestataires.
Toutes choses qui pourraient conforter ceux qui estiment que le Cameroun s’endette un peu trop en ce moment. Quelle analyse faites-vous du niveau d’endettement actuel ?
La dette du Cameroun est tout à fait soutenable. Nous sommes à 22,7% du PIB au 31 décembre 2014, alors que la CEMAC place à 70% le plafond du ratio de la dette rapportée au PIB. C’est dire que nous avons encore de la marge. Nonobstant ce que je viens de dire nous devons rester en veille et s'assurer que les autres ratios d'analyse de la viabilité de la dette demeurent dans les limites admises. Car en plus de celui global et plus usité qui est celui de la dette rapporté au PIB, il existe des ratios de solvabilité et de liquidité dont la préservation dans les limites admises pour un pays, permettent respectivement de s’assurer de sa capacité à rembourser sa dette en valeur actualisée et à assurer normalement son service de la dette sans compromettre ses objectifs de développement. Aussi, recherchons-nous prioritairement, pour les projets d’infrastructures notamment, des financements concessionnels, c’est-à-dire avec des maturités longues, des taux d’intérêt faibles et des périodes de grâce conséquentes.
Sauf que les prêts concessionnels sont de plus en plus rares…
Effectivement. Cependant, il y en a toujours, mais plus assez pour tout le monde. Lorsqu’on décide de jouer dans la cour des grands, il faut avoir les moyens de sa politique. Dès que vous devenez pays à revenus intermédiaires vous accédez de moins en moins aux financements concessionnels. S’agissant précisément de notre pays, plus il avancera vers l’Emergence, moins il se verra accorder l’accès à ce type de financements.
Une autre opinion actuelle estime que le Cameroun s’endette un peu trop également pour des besoins sociaux. Qu’en est-il exactement ?
Dans la théorie de l’endettement, le principe c’est qu’on s’endette concessionnel pour les projets relevant du social, de l’éducation, de la santé et autres infrastructures, parce qu’il n’y a pas une rentabilité économique immédiate. Et, qu’on s’endette non concessionnel pour des projets qui ont une rentabilité économique directe et immédiate. Ça, c’est la théorie de base. Mais quand on connaît le niveau des besoins que nos pays ont, il devient difficile de s’en tenir strictement à cette théorie. D’où le procès selon lequel le Cameroun contracte des prêts commerciaux, pour réaliser des projets sociaux. C’est un débat qui a effectivement cours au sein d’une opinion publique plus ou moins avertie. A mon humble avis, nous n’avons pas trop le choix et devons, par conséquent, éviter d’être péremptoire et en revanche faire preuve de plus de réalisme. Il me semble que c’est l’attitude que les autorités de notre pays ont adoptée, face à l’immensité des besoins de divers ordres à satisfaire.
Et que répondez-vous à l’opinion qui pense plutôt que pour un pays en développement, le Cameroun est plutôt timide et sous-endetté ?
Je réponds que la vraie question pour un gestionnaire de la dette n’est pas de savoir si son pays est sous endetté ou pas, mais de s’assurer qu’il est bien endetté. L’on devrait beaucoup plus se préoccuper de la qualité de l’endettement contracté que de son volume stricto-sensu. Car, si cet endettement est générateur de croissance, le pays n’aura pas de difficulté à trouver les ressources nécessaires pour le service de la dette et pour sa viabilité à terme. C’est pour cela que nous avons de par le monde des pays qui bien qu’ayant « explosé » les normes prudentielles en matière de niveau d’endettement, connaissent néanmoins prospérité et croissance.
Cameroon tribune
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