Comment s’inspirer du règne animal pour développer votre leadership
Primates, loups, fourmis et même pigeons… Les dirigeants peuvent tirer de nombreux enseignements des comportements des animaux.
(Emmanuelle Joseph-Dailly, HBR France), Les innovations qui s’inspirent des sciences de la Terre sont
nombreuses dans les domaines de l’énergie, de la chimie ou encore des
nouvelles technologies. La nature a en effet toujours été un excellent
terrain d’observation pour gagner
en efficience. Pourtant, le monde de
l’entreprise – ses leaders en particulier – reste assez imperméable au
biomimétisme, en particulier lorsque le règne animal est en jeu. Il
suffit de citer des noms d’animaux dans le cadre d’une formation
destinée à des managers pour que les participants s’offusquent :
« Suis-je comparé à un singe ? », « En quoi l’observation des fourmis
peut-elle m’apprendre à diriger une équipe ? ».
La portée de l’inspiration éthologique,
pourtant très puissante, se délite ainsi dans des pensées parasites. Le
caractère effrayant de l’animalité est-il en cause ? Sans tomber dans
l’anthropomorphisme, tout mène pourtant à penser que l’observation du
monde animal pourrait servir de tremplin à davantage d’efficacité
collective et à un meilleur leadership chez les humains. Alors que nous
avons effectué un saut technologique unique dans l’histoire, la nature,
dans son état brut et primaire, est un terrain d’observation privilégié
pour apprendre à développer notre capacité d’adaptation, notre
plasticité cérébrale et notre sens du collectif.
Prendre soin de ses pairs comme les primates
Les travaux du primatologue Frans de Waal offrent un autre regard sur
la définition du primate alpha, qu’il soit mâle ou femelle. Perçu comme
puissant et intimidant dans l’inconscient collectif, le singe atteint
en réalité le sommet de la hiérarchie grâce à une capacité à mobiliser
le groupe, à nouer des alliances et à prendre soin des autres. De Waal
décrit l’animal comme influent, sachant négocier et mettre du liant au
quotidien. On est donc loin du règne du plus fort… Chez les pigeons
également, quand les leaders sont incompétents, ils perdent leur
influence, sont rétrogradés dans la hiérarchie et remplacés par un nouveau chef plus apte à mener la troupe.
Les travaux de Frans de Waal font écho à ceux de Rémi Finkelstein,
professeur en psychologie sociale, selon qui les attentes vis-à-vis d’un
leader ont évolué ces quinze dernières années. Alors qu’auparavant, les
collaborateurs étaient en demande de « virilité » et de courage, ils
attendent aujourd’hui davantage de respect et de jeu collectif. Cela va dans le sens du concept de « servant leader »,
popularisé dans les années 1970 aux Etats-Unis par Robert K. Greenleaf.
Ancien dirigeant des ressources humaines de l’entreprise américaine
AT&T, il a développé le modèle d’un leader agissant au service de
ses équipes, en opposition avec une conception égotique du pouvoir. Ce
modèle n’est pas sans rappeler le fonctionnement des loups : les chefs de meute
s’occupent des plus fragiles, prennent soin de leurs aînés et
détiennent surtout la responsabilité sociale de maintenir l’harmonie
dans le clan.
Agir de manière décentralisée comme les fourmis
Deborah Gordon, biologiste à l’université Stanford, spécialisée dans
l’étude des fourmis, a mis en évidence à quel point leur observation
peut être utile à la compréhension des comportements humains.
Les fourmis s’organisent en effet de manière décentralisée, sans aucune
directive hiérarchique et sans aucun plan préalable déterminé par une
autorité suprême. C’est la somme de leurs interactions individuelles qui
donne lieu à leur organisation collective. Les méthodes utilisées pour
avertir les autres membres de la colonie de traces de nourriture, par
exemple (prospection aléatoire du terrain, marquage du sol avec des
phéromones…), sont si efficaces qu’elles ont été modélisées de manière
informatique pour permettre à des robots de fouiller un immeuble en feu
sans pilotage central, en s’appuyant uniquement sur les informations
collectées par des machines autonomes.
De quoi favoriser un positionnement plus égalitaire dans nos
organisations, où chacun trouverait une juste place et serait
responsabilisé au sein d’un collectif doté d’une communication efficace.
Les nouvelles formes d’évaluation des collaborateurs basées sur une
communication bilatérale permanente s’inspirent d’ailleurs en partie de
ce schéma. General Electric, Cargill, Netflix, Microsoft ou encore Adobe
ont ainsi supprimé l’entretien annuel pour le remplacer par une
évaluation quasi continue, sous la forme de feedbacks informels.
Sortir du cadre pour innover comme les macaques
Pascal Picq, paléoanthropologue, spécialiste des grands singes, relate une expérience menée dans les années 1950
sur l’île japonaise de Koshima. Une femelle macaque nommée Imo avait
pris l’habitude de nettoyer des patates douces qu’elle recevait de la
population locale, dans l’eau de la rivière toute proche. A l’occasion
d’une promenade, elle découvrit qu’en les rinçant dans la mer, elles
prenaient un merveilleux goût salé. Mais son clan imposait un respect de
la hiérarchie : l’information ne pouvait se transmettre que de manière
verticale, selon le lignage et non de manière horizontale. Elle choisit
alors de ne confier sa trouvaille qu’à ses enfants, qui eux-mêmes
l’enseignèrent aux leurs. Il a ainsi fallu plus de cinq générations pour
que la pratique se généralise sur l’île. L’expérience d’Imo est
inspirante pour nous amener à sortir du cadre, s’autoriser à casser les
codes, tolérer l’erreur qui engendrera peut-être une innovation, de
manière programmée ou par sérendipité. La souplesse hiérarchique est en
cela un préalable à la créativité organisationnelle.
Développer la collaboration comme les chimpanzés
Chez les chimpanzés, l’échange de bons procédés est monnaie courante.
La négociation interpersonnelle fait partie du quotidien. Si un singe
trouve une noix, mais ne dispose d’aucun outil pour l’ouvrir, il va
rechercher un partenaire qui en sera équipé et il partagera son gain une
fois la coque cassée. L’action collective clanique est efficace et
organisée. Chacun trouve un intérêt dans la collaboration. L’exemple est
une fois de plus éclairant pour les leaders à la tête d’organisations
dans lesquelles la coopération a du mal à se frayer un chemin.
Il est vrai que l’individu préfère souvent optimiser sa performance individuelle. Comme l’énonce Yves Morieux,
directeur de l’Institute for Organization du Boston Consulting Group,
coopérer dans nos organisations, « c’est prendre un risque, parce que
nous sacrifions la protection ultime donnée par une performance
individuelle pouvant être mesurée objectivement. C’est faire une grande
différence avec la performance des autres, avec qui nous sommes
comparés. » Tant que nos entreprises ne valoriseront pas le collectif
plus largement que l’individuel, les membres du groupe ne prendront pas
le risque d’une véritable collaboration.
L’instinctivité du règne animal est souvent perçue comme primaire et
peu élaborée, transposée au leadership humain. Mais il semble chimérique
de croire que, nous les humains, sommes aux commandes de nos propres
décisions alors que nos biais cognitifs nous détournent constamment de
notre libre arbitre et que plus de 90% de notre activité cérébrale est inconsciente.
Dans notre univers de technologies et d’instantanéité, nous aurions
donc tout à gagner à regarder de plus près les espèces qui, par
nécessité vitale, ont développé une inventivité et des mécanismes
d’entraînement du groupe.
Commentaires
Enregistrer un commentaire