Entrepreneuriat : et s’il suffisait de ne pas définir a priori son but pour réussir ?

Pour cocréer votre projet, préférez les questions ouvertes aux questions fermées.

Dominique Vian
(HBR France) De tous temps, les êtres humains ont projeté leurs désirs avec pour finalité de les réaliser. Toute entreprise n’est-elle d’ailleurs pas l’incarnation d’un ces désirs ? Cependant, bon nombre de projets échouent. Et nombreuses sont les entreprises qui ne réussissent pas. Pourquoi ? Les raisons sont multiples. Explorons ici l’idée selon laquelle les échecs des entrepreneurs viennent d’une difficulté
récurrente à s’ancrer dans la réalité.

A question fermée, réponse binaire

Imaginons que nous soyons une entreprise ayant développé une nouvelle machine robotisée permettant de simplifier et d’accélérer la pose des voies ferrées. En tant qu’entrepreneur, je peux choisir de proposer aux prestataires exécutant des travaux ferroviaires d’acquérir le fruit de mon invention. En effet, ces acteurs ne sont-ils pas ceux qui bénéficieraient directement des avantages du robot ? Tel serait donc le résultat attendu. Procédant ainsi, je m’expose donc au refus ou à l’acceptation de ma proposition. Fixer ainsi le résultat final induit une question du type : « Voudriez-vous ? » Une question fermée qui appelle indubitablement une réponse négative ou positive. Nombreux sont les entrepreneurs qui, dans une situation de refus, ont alors dû pivoter vers un autre marché voire renoncer à leur projet.
N’y aurait-il qu’une seule façon de faire, conduisant de façon binaire au succès ou à l’échec ? Non, il en existe une seconde, pleine de bon sens et de pragmatisme. Aurait-elle été insuffisamment enseignée dans les cours d’entrepreneuriat ? Cette alternative consiste à ne plus définir a priori le résultat final à atteindre, tout en admettant qu’un but individuel puisse être néanmoins poursuivi

La question ouverte, une alternative pragmatique

Revenons à notre projet et abandonnons la vision du résultat final, qui consiste à vendre notre robot aux entreprises de travaux ferroviaires. Si mon invention permet de faciliter la pose des voies ferrées, cela ne décrit pas précisément ce que je vendrai, ni même qui sera mon client. Je peux veiller qu’à ce stade mon but – faciliter la pose des voies ferrées – ne décrive volontairement pas un futur précis. Ceci posé, des buts en cascade – qui sont des effets directs du premier – pourraient être assez facilement imaginés : réduire les coûts de maintenance des voies, les durées d’intervention de ces mêmes opérations, le coût global de l’infrastructure, la pénibilité du travail sur les voies, les coûts de main d’œuvre… Et bien d’autres buts que je ne connais pas encore.
Dès lors que je rencontrerai un acteur qui souscrira à un de ces buts, c’est bien avec lui que je pourrai potentiellement réaliser mon projet. Il pourra s’agir, par exemple, de l’exploitant qui supporte le coût des trains immobilisés en période de travaux, du gestionnaire de l’infrastructure qui verra ses coûts de maintenance diminués, du syndicat qui recherche des solutions au travail pénible des ouvriers sur les voies ou de représentants des usagers. Avec cette perspective nouvelle, je ne fais plus face à un succès ou à un échec mais je suis dans la possibilité de satisfaire des besoins latents ou des buts, jusque-là inavoués, de nombreux partenaires potentiels. Je peux en anticiper certains, mais il est très probable que je ne les imaginerai pas tous avant de rencontrer les personnes concernées.
La question fermée devient une question ouverte du type : « Qu’est-ce que cela changerait pour vous s’il était possible de poser plus facilement une voie ferrée ? » Il n’est pas nécessaire de présager de la réponse. Ainsi, l’entrepreneur travaille à faire émerger toute possibilité désirée par une partie prenante. Il n’est plus seul, dès lors que l’une d’elles s’engage avec lui. Le projet prend la forme que voudront bien lui donner ceux qui le rejoindront.

Une cocréation de valeur

Si l’avantage de cocréer un but avec un acteur est un premier bénéfice, il en existe un deuxième, ouvrant sur des formes de contractualisation gagnante-gagnante. En effet, procédant ainsi, l’entrepreneur pourra parfois s’affranchir du classique service ou produit échangé contre de l’argent et se rémunérer sur la valeur créée grâce au but poursuivi. En effet, l’approche classique ne nécessite pas de connaître les finalités des acteurs impliqués dans la transaction. Celles-ci peuvent être différentes et sont souvent masquées. Par exemple, si j’achète une bouteille d’eau, j’en paierai le prix fixe et personne ne m’interrogera sur ce qui me motive à l’acheter. En effet, peut-être que j’ai modérément soif ou très soif, que je veux sauver la vie d’un tiers ou compléter ma collection de bouteilles. Dans tous les cas, j’en paierai le même prix. Or la finalité ultime poursuivie – et connue de chacun – permettra d’envisager des modalités de fixation du prix basé sur ladite finalité. Nous sommes loin d’un simple échange monétaire contre bien ou service.
Reprenant l’exemple des voies ferrées : en réduisant significativement le manque à gagner dû aux trains immobilisés, la SNCF pourrait rejoindre le projet en reversant une partie du gain. Faire en sorte que les trains circulent en minimisant le temps d’indisponibilité des voies devient un but commun. Dans cette situation, le but du client et le but de l’entrepreneur convergent : faciliter la pose des voies ferrées permet bien de minimiser le temps d’indisponibilité des voies.
Pour prendre un autre exemple bien réel, Xerox a su changer de modèle économique, passant de la vente de photocopieurs, puis de copies – transaction monétaire calculée sur le prix unitaire multiplié par le nombre de copies – à un but cocréé : réduire les dépenses de gestion documentaire des entreprises et en partager avec le client le bénéfice.

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