Transformation de l’entreprise : pourquoi la montée en compétence individuelle ne suffit pas

Si l’évolution des compétences individuelles est de plus en plus prise en compte, les compétences collectives sont, elles, souvent oubliées. A tort.

Hugues Poissonnier
 (HBR France) Soucieux de donner à leurs entreprises les moyens de leurs nouvelles ambitions (qui impliquent notamment une conception plus élargie de leurs missions et de leurs impacts sociétaux), les dirigeants sont de plus en plus nombreux à promouvoir d’ambitieuses transformations organisationnelles. Avec souvent, à la clé, une plus grande transversalité, qui prend la forme d’une baisse du nombre de niveaux hiérarchiques
ou d’une responsabilisation accrue des personnes. Mais cela requiert une évolution importante des compétences. Les compétences individuelles sont, généralement, bien appréhendées et développées. En revanche, les compétences collectives, mobilisées en interne lorsque l’on collabore avec d’autres collègues, ou en contexte inter-organisationnel lorsque l’on coopère avec des concurrents, des clients ou encore des fournisseurs, demeurent trop souvent délaissées ou oubliées. La montée en compétence individuelle, bien que nécessaire, s’avère pourtant insuffisante, voire vouée à l’échec, si la montée en maturité organisationnelle ne l’accompagne pas.

L’individu au centre des préoccupations

Même les transformations organisationnelles s’appuyant sur l’émergence de nouvelles solutions technologiques (robotisation, numérisation, digitalisation,…) reposent avant tout sur une évolution des compétences humaines. Plus précisément, les compétences relationnelles et émotionnelles apparaissent comme de plus en plus indispensables à l’heure où la collaboration à l’intérieur de l’organisation, mais aussi entre cette dernière et ses partenaires extérieurs, s’impose comme l’une des principales clés de succès. Bien sûr des exemples de plus en plus nombreux montrent que le curseur de la collaboration est parfois poussé un peu trop loin. Des cas de burn-out collaboratif apparaissent, témoignant de l’importance du bon équilibre entre travail individuel et collectif. Mais de la start-up à la grande entreprise, le sens de l’histoire est bien celui qui consiste à s’appuyer de plus en plus sur le développement des compétences dites sociales des personnes. Ces dernières sont celles qui permettent la collaboration, rares étant désormais les tâches et activités pouvant être exercées seul, sans contribution de plusieurs collègues et/ou partenaires extérieures à l’entreprise.

Des compétences collectives parmi les grandes oubliées

Si les compétences individuelles, grâce à la formation et aux nouvelles expériences vécues, progressent et accompagnent les changements, les compétences collectives, notamment organisationnelles, s’avèrent souvent plus difficiles à faire évoluer. Ces dernières reposent sur la collaboration en interne et une vision plus transversale de la performance. Les références théoriques ne manquent pourtant pas pour donner de bonnes idées et des exemples concrets de pratiques vertueuses. Des organisations au fonctionnement original sont ainsi régulièrement qualifiées de « libérées », « nutritives » ou « florissantes ». Elles se caractérisent par ces points communs essentiels : davantage d’autonomie et de liberté données au salarié pour une contribution élargie aux performances de l’organisation, reposant pour l’essentiel sur ce qu’il est possible d’appeler le « dépassement de fonction ». Si le management suit, dans un souci de cohérence, devenant plus participatif, bienveillant, voire « slow », les conditions peuvent être réunies pour casser les silos qui caractérisent encore trop souvent nos organisations, publiques ou privées, petites ou grandes. Mais c’est précisément à cet endroit que le bât blesse. La difficile montée en maturité organisationnelle freine les transformations que les évolutions des compétences individuelles rendraient possibles.

Les compétences inter-organisationnelles à la rescousse

Les compétences inter-organisationnelles représentent sans doute un levier non négligeable de réussite de la transformation des organisations. C’est notamment l’une des retombées indirectes, sorte de bénéfice induit, de la démarche visant à mieux collaborer avec ses fournisseurs ou, plus généralement, ses partenaires extérieurs. Elle contribue en effet, et sans effort démesuré, à instaurer une culture de collaboration plus forte en interne chez chacun des partenaires. Si la collaboration en interne facilite la collaboration avec les partenaires extérieurs, et rend possible un véritable « management des ressources externes » (le nouveau nom que l’on donne, de plus en plus, à la fonction achats), l’inverse, et de nombreux travaux récents le montrent, est également vrai. Il s’agit même de l’un des principaux bénéfices induits par la mise en œuvre de véritables relations collaboratives et responsables avec les fournisseurs. De Tefal, qui pratique avec ses fournisseurs le mécénat de compétences, à Armor-Lux qui a su développer une culture collaborative forte entre ses fournisseurs étrangers et les usines situées en France pour gagner en agilité, en passant par le groupe Safran dont les multiples innovations s’appuient essentiellement sur la qualité croissante des échanges entre les différents services en interne et les fournisseurs, nombreux sont les exemples de diffusion de bonnes pratiques de collaboration en interne lorsque celles-ci sont initiées avec les fournisseurs.

Les vertus de la paix économique

Tout le monde a donc décidément tout à gagner à œuvrer en faveur de relations inter-entreprises pacifiées et plus harmonieuses : les donneurs d’ordres (si on continue à les appeler ainsi malgré le caractère peu reluisant et de moins en moins pertinent de l’appellation), mais aussi évidemment leurs fournisseurs et, par extension, l’ensemble de l’écosystème économique. Le groupe industriel ARaymond, qui propose des produits pour la fixation dans les domaine de l’automobile, la santé, l’agriculture, les énergies renouvelables et l’industrie, le groupe Schmidt, qui commercialise des meubles, ou encore Outilacier, un distributeur responsable de matériel et d’outillage pour les entreprises, contribuent ainsi, chacun à leur manière, à renforcer la résilience de leur écosystème économique en tirant bénéfice de la qualité des relations avec leurs fournisseurs. La paix économique ainsi promue ne cesse de voir ses multiples intérêts cachés apparaître au grand jour et se trouver validés par des pratiques vertueuses aux retombées renforcées (meilleure capacité à innover ensemble, meilleure résilience de l’écosystème et de l’ensemble de ses membres, accroissement de la sérénité propice au véritable développement des compétences…). L’enjeu est donc de taille. De sa bonne compréhension dépend, en grande partie, le succès à venir des entreprises.

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