« Le Cameroun continue d’afficher de très bons résultats »
Par Olivier LAMISSA, Cameroon Tribune
Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI).
Mme la directrice générale, vous
effectuez à partir d’aujourd’hui votre première visite au Cameroun en
vos capacités actuelles. Quel est l’objet de votre visite ?
Permettez-moi avant tout de vous dire à
quel point je suis heureuse de visiter pour la première fois dans mes
fonctions
de directrice générale du FMI, ce beau pays dont on dit qu’il
est une Afrique en miniature. Le Cameroun fait actuellement face à des
défis économiques importants, en raison notamment de la baisse des prix
de ses exportations de pétrole ainsi que des défis sécuritaires dans
l’Extrême-Nord. Toutefois, notre récent examen annuel de l’économie du
pays a montré que le Cameroun continue d’afficher de très bons
résultats, avec une croissance économique à presque 6 % au cours de ces
deux dernières années. C’est remarquable et je ne manquerai pas d’en
féliciter les autorités camerounaises. Mon message est le suivant :
saisissez ce moment pour continuer à mettre en place des réformes
permettant de renforcer votre stratégie de réduction de la pauvreté.
Dans un contexte de ressources de plus en plus limitées, il est
extrêmement important de mettre en place des politiques permettant de
mieux résister aux chocs et privilégier les dépenses d’infrastructures
dont la réalisation contribuera le plus à la croissance économique et à
la création d’emplois tout en évitant une accumulation trop rapide de la
dette.
Au cours de ma visite, j’aurai
l’occasion d’offrir aux autorités l’appui du FMI pour continuer de
soutenir le Cameroun dans ses efforts visant à asseoir un développement
durable et inclusif. Nous avons récemment élargi nos principaux
mécanismes de prêt en faveur des pays en développement et sommes
ainsi en mesure de leur offrir une protection encore plus grande face
aux chocs exogènes. Nous avons également accru de 50 % le niveau d’accès
à toutes nos facilités concessionnelles.
Le Cameroun n’a pas eu de
programme avec le FMI depuis plusieurs années. Quel est l’état des
relations entre le FMI et le Cameroun depuis l’atteinte du point
d’achèvement de l’initiative PPTE en avril 2006 ?
Le Cameroun a atteint le point
d’achèvement de l’initiative PPTE en 2006 et le dernier programme
soutenu par le FMI a pris fin en 2009. Les deux programmes ont permis de
mettre en place des politiques efficaces de réduction de la pauvreté.
Depuis, le Cameroun et le FMI sont restés en étroite collaboration et
les services du FMI ont fourni une assistance technique importante en
matière d’administration des douanes et des impôts, d’administration
budgétaire ou encore pour la gestion de la dette. Cette collaboration
est très importante et vise à accompagner le pays dans ses efforts de
réforme structurelle de l’économie. Nos services continuent en outre à
discuter avec les autorités deux à trois fois par an des défis
macroéconomiques auxquels le Cameroun est confronté ainsi que des
solutions que le pays pourrait envisager pour assurer une croissance
plus soutenue qui profite à tous les Camerounais.
L’économie camerounaise fait face à
la chute des cours du pétrole et à l’insécurité créée par Boko Haram.
Comment appréciez-vous son degré de résilience face à ce double choc ?
Nous notons que plusieurs pays hélas
font face à ces défis sécuritaires, y compris le mien, la France,
récemment frappée par une série d’attentats. Comme je l’ai dit plus
haut, nous notons par ailleurs que le Cameroun fait preuve d’une bonne
résilience face à ce double choc, sous l’effet notamment d’une forte
augmentation de la production pétrolière et d’un nouvel accroissement de
l’investissement public. Cette performance contraste avec les
projections de croissance d’environ 2 % pour la CEMAC dans son ensemble.
Cependant, les problèmes de compétitivité structurelle, avec notamment
un environnement des affaires peu propice à l’investissement privé et
l’absence de progrès en matière d’intégration régionale risquent de
continuer d’entraver le développement du secteur privé, entraînant un
taux de croissance à moyen terme d’environ 5 % seulement.
Au cours de ses dernières missions
de revue des performances de l’économie camerounaise au titre de
l’Article IV, le FMI a estimé que le taux de croissance du pays est
insuffisant. Quelles sont vos recommandations de politique économique
pour que le pays atteigne un taux de croissance plus élevé ?
Malgré le contexte économique
international morose, les services du FMI considèrent que des mesures
supplémentaires destinées à faciliter les activités du secteur privé et à
renforcer l’intégration régionale permettraient d’assurer une
croissance plus élevée. Dans cette optique, les mesures les plus
importantes seront celles visant à améliorer le climat des affaires,
renforcer la justice en matière de contentieux commercial, faciliter le
passage des frontières ou encore harmoniser les impôts entre les pays de
la CEMAC. Il conviendra également de consacrer plus de ressources à la
santé et à l’éducation ainsi que la protection des couches les plus
vulnérables de la société pour améliorer la capacité de contribution de
la prochaine génération à l’essor national. Il faudra enfin envisager
une politique d’investissement public ciblée et viable qui, tout en
soutenant l’action du gouvernement dans ses efforts de développement,
notamment en matière d’infrastructures, ne grève pour autant pas le
budget par une charge de la dette excessive.
Le FMI a organisé plusieurs
conférences régionales sur le financement des infrastructures, si
nécessaires au décollage économique des pays en développement, et
notamment ceux de la CEMAC. Quelle est la suite donnée aux
recommandations formulées au cours de ces conférences ?
Vous touchez là un point important qui fait partie de mon programme de travail au Cameroun.
Nous reconnaissons l’importance de
réduire les goulots d’étranglement liés au manque d’infrastructures dont
souffrent bon nombre de pays subsahariens, y compris ceux de la CEMAC.
C’est une donnée fondamentale du développement économique de l’Afrique.
Au cours de récentes conférences régionales, le FMI a attiré l’attention
de ses membres sur l’importance de s’assurer que des ressources
adéquates sont budgétisées pour l’entretien des infrastructures
réalisées. J’attends avec intérêt la table ronde avec les ministres des
finances et de l’économie de la CEMAC sur le financement des
infrastructures dans un nouveau contexte économique caractérisé par des
prix du pétrole particulièrement bas. Ce sera une occasion de mieux
appréhender les besoins en infrastructures de la sous-région et discuter
des solutions possibles ainsi que de passer en revue les mesures
pratiques mise en œuvre dans les pays de la CEMAC à la suite de la
conférence régionale de mars 2014 à Yaoundé et celle de Mai 2014 à
Maputo au cours desquelles cette question a été au centre des
discussions.
Pourriez-vous faire le point de la
réformes des quotes-parts du FMI qui visait à améliorer la
représentation des pays émergents et en développement et qui, nous le
savons, est dans l’impasse au Congrès américain ? Le FMI traite-t-il
tous ses membres sur un même pied d’égalité ?
Grâce au récent vote du congrès
américain, les réformes de 2010 sur les quotes-parts et la gouvernance
deviennent finalement une réalité. Il s’agit d’un processus engagé il y a
cinq ans dans le but de renforcer, moderniser et rééquilibrer le FMI.
Ces réformes augmentent considérablement les ressources propres du FMI,
lui permettant ainsi de réagir plus efficacement aux crises. Elles
améliorent la gouvernance du FMI grâce à une meilleure représentation du
rôle grandissant des pays émergents et en développement dans l’économie
mondiale. Grâce à ces réformes, plus de 6 % des quotes-parts
basculeront vers les pays émergents et en développement, et des pays
surreprésentés vers les pays sous-représentés. Les mesures adoptées
protègent également la représentation des pays membres les plus pauvres
du FMI. Il est clair qu’un FMI plus représentatif sera nettement mieux
équipé pour défendre les intérêts de tous ses 188 membres. Le FMI traite
tous ses pays membres sur un pied d’égalité et il est soucieux des
besoins particuliers de chacun d’eux.
Votre programme prévoit un
important discours devant les ministres de la CEMAC. Quelle appréciation
faites-vous de l’intégration en Afrique Centrale ? Quel rôle le
Cameroun doit-il y jouer ?
La CEMAC contribue depuis des décennies à
la stabilité macroéconomique de la sous-région. Plusieurs éléments
importants ont contribué à ce succès, y compris la monnaie et la banque
centrale communes qui ont aidé à maintenir l’inflation à des niveaux
bas. De plus, la mise en place d’une union bancaire permet une
supervision du secteur financier régional adéquate. Malgré ces
réussites, les échanges commerciaux entre les États de la sous-région
demeurent modestes à environ 3 % du commerce total de la sous-région et
ne contribuent pas suffisamment à la croissance des pays de la CEMAC.
Dans le contexte actuel où la
sous-région est touchée par deux chocs extérieurs majeurs, prix du
pétrole et sécurité, une intégration régionale plus poussée avec des
institutions régionales dynamiques est nécessaire pour améliorer la
compétitivité du secteur non pétrolier et soutenir la croissance. Cela
nécessite un effort concerté de la part des autorités nationales et
régionales. Le Cameroun est la première économie de la sous-région et
pourrait jouer un rôle de locomotive économique régionale. Cette
question sera au centre de mes discussions avec les ministres de la
CEMAC à Yaoundé.
Être une femme à la tête d’une
puissante institution internationale comme le FMI et en charge de la
gestion des grandes crises de l’économie mondiale, est-ce plus
difficile ?
L’essentiel, c’est que je fasse mon
travail correctement. Et si je peux y apporter une touche personnelle,
une perspective et une vision différentes, tant mieux. J’aime à rappeler
qu’un seul individu ne peut régler les problèmes de l’économie
mondiale. Nous devons nous y mettre tous ensemble : les 188 pays
membres, le personnel du FMI et la communauté internationale, chacun
doit apporter sa contribution à la lutte contre la crise économique
mondiale qui comme nous le savons, pénalise avant tout les couches le
plus vulnérables de nos populations.
Finalement, remplir mes fonctions me
donne une responsabilité supplémentaire. Savoir que d’autres femmes me
regardent ; celles de ce pays que je découvre, celles d’ailleurs ; et
qu’elles se disent qu’elles peuvent aussi y arriver, me donne une
énergie supplémentaire. Au plus fort des crises économiques que j’ai à
gérer avec une équipe formidable, ma philosophie est toujours la même :
il faut avoir un solide sens de l’humour, serrer les dents parfois,
travailler dur, toujours.
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