Les dangers de l’optimisation naïve en incertitude

 "La gestion d’une organisation réside beaucoup dans l’art du compromis et non dans l’optimisation naïve d’un ou deux facteurs aux dépens d’autres tout aussi importants, même s’ils ne jouent que rarement."

PAR PHILIPPE SILBERZAHN

L’optimisation est l’un des objectifs essentiels du management. Elle consiste à faire toujours plus à partir de toujours moins. Elle est l’un des facteurs de l’incroyable performance de l’économie mondiale depuis deux-cents ans. Elle explique par exemple que le prix d’un frigo ait diminué de 98% en euros constants depuis un siècle. Mais elle est parfois menée de façon naïve, c’est-à-dire sans tenir compte de l’incertitude, et cette naïveté est source d’une grande fragilité.

L’optimisation a été particulièrement marquée avec le développement du « Just in time », l’idée étant de livrer les composants d’un produit qu’au moment exact

où ils sont nécessaires. En livrant juste à temps, et non à l’avance, on évite les stocks inutiles, et donc on réduit les coûts. Si cette technique est appliquée sur l’ensemble de la chaîne, l’impact en termes d’efficacité peut être considérable. Ces trente dernières années, avec le développement de la Chine comme atelier du monde et celui de la logistique internationale, cette technique a été étendue en supposant que l’origine géographique d’un produit n’avait pas d’importance. Seul comptait le prix et le délai. L’impact en termes d’efficacité a été considérable: un produit pouvait être sourcé en quelques clics et livré quelques jours après.

Mais cette optimisation traduisait une forme de naïveté, inconsciente des modèles mentaux sur lesquels elle reposait. Le juste à temps suppose par exemple qu’il n’y a jamais de grève. C’est vrai au Japon, qui a inventé le concept, mais ce n’est pas vrai en France, qui l’a adopté un peu rapidement. Dans un pays où la grève est fréquente, avoir du stock est une bonne idée. Le coût supplémentaire engendré est largement recoupé lorsqu’il y a une grève et que la production peut continuer malgré elle. De même, la logistique supposait que le système d’approvisionnement mondial pouvait fonctionner sans accroc. Cette supposition s’est trouvée vérifiée pendant des années, puis brusquement démentie avec l’épidémie de Covid et désormais avec le reflux de la mondialisation et les problèmes sécuritaires, comme les menaces que font peser les Houthis sur le transport maritime en Mer Rouge.

Pour qu’un système soit capable de résister aux chocs inévitables d’un monde incertain, il faut donc plusieurs conditions qui vont à l’encontre de l’optimisation naïve:

Premièrement, il faut créer une capacité sur-dimensionnée. C’est ce qu’en anglais on appelle « slack », le mou. Il faut avoir un peu trop de tout à tous les niveaux. Moins on a de mou, moins on peut encaisser les chocs. Il faut donc conserver de l’inutile. Le modèle ici est la brigade de pompiers. Ces derniers sont inactifs une partie de leur temps puis soudainement indispensables. Nous finançons donc une structure qui est inactive une partie importante de son temps. Si les pompiers sont inactifs pendant 30% de leur temps, il serait idiot de réduire les effectifs de 30% pour en optimiser le fonctionnement. Le mou est sous-performant au jour le jour, mais très performant au long cours.

Deuxièmement, il faut avoir une redondance de systèmes. C’est pour cela que la nature nous a donné deux poumons. Là encore, l’optimisation naïve voudrait éviter les redondances, source de coûts directs et indirects (maintenance, etc.). La marine américaine a ainsi recommencé à former ses marins à l’utilisation des cartes et du compas. Un jour, peut-être, le GPS sera inaccessible (panne ou sabotage ennemi) et il faudra savoir se débrouiller autrement.

Lire la suite sur philippesilberzahn.com

Commentaires