L’engagement des collaborateurs, le nouveau levier de pouvoir des RH
Repenser la mission des RH permet de redonner du sens à ceux qui s’occupent au quotidien de la dimension humaine de l’entreprise.
Par Raphaël H. Cohen, HBR France
Quelle est la raison d’être des ressources humaines ? A cette question
que je pose depuis des années aux cadres, DRH inclus, qui assistent à mes cours, je n’ai pratiquement jamais obtenu de réponse satisfaisante. Celles que j’entends ont presque toutes un point commun. Elles conviennent à une ou plusieurs parties prenantes mais ne sont pas acceptables pour d’autres : soit la direction n’aime pas, soit les collaborateurs n’apprécient pas, soit les RH ne s’y retrouvent pas.Elles vont de l’option « chef du personnel glorifié » (s’assurer que les bonnes personnes avec les bonnes compétences sont à la bonne place) à l’option quasi-syndicale (défendre les collaborateurs), en passant par la dernière mode des « chief happiness officers ». L’absence d’alignement de tous les intéressés (et ils sont nombreux) aboutit à des frictions et des malentendus évidents qui expliquent en bonne partie la mauvaise image des RH.
Est-ce inévitable ? Heureusement non. En partant d’une réalité non discutable qui établit que des collaborateurs engagés travaillent mieux que ceux qui ne le sont pas, la mission des RH peut simplement être : mettre en place des conditions de travail qui maximisent le niveau d’engagement et de compétences des employés. Et pour y parvenir, les RH doivent :
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A la place des petits points, on peut préciser le quoi et le comment, par exemple « attirer les talents en développant la marque employeur », « faire en sorte que la culture d’entreprise soit vécue avec fierté », « soutenir les efforts de développement personnel des collaborateurs », « faire en sorte que la gestion administrative RH soit exemplaire », etc.
L’objectif : maximiser le niveau d’engagement
Comme le niveau d’engagement dépend en fin de compte de la manière dont les collaborateurs sont traités par leur chef, les RH ne peuvent en assumer la seule responsabilité. Elles peuvent, par contre, mettre en place les conditions qui vont permettre aux cadres de faire en sorte que le niveau d’engagement de leurs équipes soit maximal. Comme il ne suffit pas de mettre en place des conditions bien particulières, les RH doivent aussi s’assurer qu’elles sont exploitées au mieux pour atteindre leur objectif. Si cette mission est bien comprise, l’impact de chaque action des RH peut être évalué pour savoir dans quelle mesure elle contribue à maximiser le niveau d’engagement.
Pour que le niveau d’engagement soit maximal, il est impératif de faire en sorte que :
– Toutes les questions administratives soient traitées avec efficacité (établissement des contrats, paiement des salaires, etc.). Si ce n’est pas le cas, les collaborateurs seront frustrés et, bien sûr, moins engagés ;
– L’employabilité des collaborateurs soit développée. D’abord parce que ces derniers l’attendent et ensuite parce que des collaborateurs compétents sont bien sûr plus performants ;
– L’adéquation du poste et du collaborateur, ainsi que la compatibilité avec le reste de l’équipe (chef inclus), soient assurés pour favoriser le bien-être et la performance ;
– L’équité soit respectée. Des collaborateurs qui ont le sentiment d’être traités inéquitablement ne seront pas engagés ;
– La culture managériale incite à s’investir. Beaucoup de paramètres peuvent avoir un impact sur la culture d’entreprise. Les RH doivent donc intervenir comme chef d’orchestre pour coordonner les aspects culturels.
Ces quelques exemples montrent que le « quoi » – ce que les RH sont censées faire – doit avoir une finalité claire et acceptée par tous : favoriser un niveau d’engagement maximum. Hormis les emplois à vocation alimentaire, la très grande majorité des collaborateurs n’aspirent qu’à s’investir en trouvant de la satisfaction et du sens dans ce qu’ils font. C’est d’autant plus plus vrai pour les générations Y et Z. C’est ce à quoi leur encadrement doit s’atteler, avec le soutien des RH. Pour savoir à quel point les RH y parviennent, il suffit de demander aux collaborateurs : « Sur une échelle de 0 à 5, à quel point estimez-vous que les RH concrétisent leur mission? » (= premier indicateur RH).
Comme des équipes engagées sont plus performantes, les cadres ont aussi intérêt à ce que les RH les aident à maximiser le niveau d’engagement de leurs équipes. Ils peuvent donc répondre à la même question. Leur perspective complètera ainsi utilement celle des collaborateurs (= deuxième indicateur RH).
La direction y trouve elle aussi son compte puisque son objectif est d’augmenter la performance. Comme il est illusoire d’y parvenir avec des collaborateurs désengagés, il est dans son intérêt que le niveau d’engagement soit le plus haut possible. Or comme elle confie la responsabilité aux RH de faire le nécessaire sur le plan institutionnel, elle doit également exprimer son opinion sur leur capacité à exécuter leur mission, compte tenu des moyens mis à leur disposition et des contraintes qui leur sont imposées (= troisième indicateur RH).
Jouer enfin un rôle central dans l’entreprise
Ces trois indicateurs sont bien plus pertinents pour mesurer la performance des RH que d’autres, tels que l’absentéisme, dont elles ne peuvent seules assumer la responsabilité. Même s’ils peuvent apparaître comme subjectifs, ils expriment la perception des différentes parties prenantes, au même titre que les entretiens annuels, par exemple, sont le reflet de l’opinion des cadres sur leurs collaborateurs. Après avoir institutionnalisé ces évaluations, les RH seraient mal venues de ne pas accepter d’être elles-mêmes évaluées sur la base de perceptions.
Ce qui les caractérise est que ce sont des « indicateurs de résultat », ou de finalité, plutôt que des « indicateurs de moyen » (comme c’est trop souvent le cas avec les indicateurs utilisés). Les « indicateurs de moyen » sont utiles pour diagnostiquer la pertinence du « comment ». Mais avant de se préoccuper du « comment », il faut d’abord mesurer le résultat obtenu, c’est-à-dire la finalité.
Les RH ont, elles aussi, tout intérêt à adopter cette mission car elle donne non seulement du sens à ce qu’elles font mais cela leur permettra aussi de jouer enfin un rôle central dans l’entreprise. A partir du moment où les RH sont les gardiens du temple du niveau d’engagement des collaborateurs, elles peuvent légitimement poser à tous les décideurs, quel que soit leur niveau hiérarchique, deux questions :
– Ce que vous voulez faire, dire ou faire faire va-t-il augmenter ou réduire le niveau d’engagement des collaborateurs ?
– Si ce que vous voulez faire, dire ou faire faire risque de réduire le niveau d’engagement, que pouvons-nous mettre en place pour minimiser les dégâts?
Ces deux questions sont très efficaces pour amener les décideurs à prendre conscience de l’impact de leurs actions sur le niveau d’engagement, et donc sur la performance globale. Si les RH ne se contentent pas seulement de poser la deuxième question mais suggèrent en plus des réponses susceptibles d’aider les dirigeants, elles pourront enfin être reconnues et considérées comme un partenaire stratégique. Ce qui leur permettra, en définitive, de gagner en pouvoir.
Cette posture de gardien du temple de l’engagement redonne également aux RH l’opportunité de faire évoluer la culture de l’entreprise, de manière à ce qu’elle favorise un haut niveau d’engagement et, par la même occasion, qu’elle attire de plus en plus de talents. Autre avantage, cela permet de se débarrasser de l’expression « direction des ressources humaines » qui sous-entend que les humains sont dévitalisés au point d’être assimilés à une ressource, au même titre que le pétrole ou l’argent. On pourrait imaginer remplacer l’expression « DRH » par « Directeur de l’Engagement » (« DE »), ou « Chief Engagement Officer ». Une terminologie qui ne réduit plus les humains à de simples ressources et qui reflète bien la raison d’être des responsables RH. L’engagement deviendrait alors une fonction en soi, comme le marketing ou la finance.
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