Vaut-il mieux échouer en visant haut que réussir en visant bas? Pas si sûr!
By Philippe Silberzahn, Mon attention a été attirée un peu par hasard par la déclaration d’un
entraîneur d’une équipe de football américain qui disait en substance,
apparemment à la veille d’un match important: « Il vaut mieux échouer en
visant haut que réussir en visant bas. » Comme très souvent, de telles
déclarations sont prononcées sur le ton de l’évidence et cachent un
modèle mental ignoré par leur auteur, modèle
dont on peut tout à fait
prendre le contre-pied: et si, au contraire, il valait mieux réussir en
visant bas qu’échouer en visant haut? C’est particulièrement important
management en général et en entrepreneuriat en particulier.
Derrière une telle déclaration se cache bien-sûr un modèle un peu
macho où l’on prétendrait que c’est la beauté du geste qui compte plus
que le résultat final. Qu’échouer n’est pas grave si c’est fait avec
style. Un peu à la Pierre de Coubertin qui disait que l’important c’est
de participer. Mais surtout il y a derrière ce slogan l’idée que
l’important c’est d’avoir un but ambitieux. Que c’est vraiment ça qui
est noble. Une nouvelle fois nous sommes enfermés dans cette idée que ce
qui est important dans l’action, c’est l’ambition du but.
C’est sans doute pour cela qu’on assiste depuis quelques années à une
tentative de légitimation de l’échec, notamment dans le champ
entrepreneurial. Ce n’est pas grave si vous échouez, du moment que vous
avez été suffisamment ambitieux. C’est là une idée bien étrange… on sait
bien que l’échec est douloureux et je ne vois pas de raison de le
célébrer sinon une espèce de romantisme malsain.
Mais surtout, le modèle mental principal qui se cache derrière le
slogan, c’est que pour faire de grandes choses, il faut commencer par
viser haut. L’effectuation, la logique des entrepreneurs, prend le
contre-pied de cette fausse évidence et nous invite, au travers de son
premier et de son second principe, à viser bas. Que disent ces
principes? Le premier énonce qu’on peut déterminer ce qu’on peut faire à
partir de ce qu’on a sous la main. Autrement dit, on ne part pas d’un
but ambitieux (« viser haut! ») pour ensuite essayer de le réaliser (et
pleurer si on n’y est pas arrivé), mais on choisit un but qu’on peut
atteindre à coup sûr car déterminé en fonction de ce qu’on a. Le
deuxième principe énonce qu’on agit en perte acceptable, c’est à dire
qu’on ne mise que ce que l’on peut accepter de perdre. On place ainsi
une contrainte forte sur les buts qu’on se fixe. Au lieu de faire varier
l’effort possible pour une ambition donnée, ce qui est très risqué, on
fait varier l’ambition en fonction de l’effort possible.
Quel est l’intérêt d’une telle approche? Il réside évidemment dans la
très forte probabilité d’atteindre l’objectif qu’on s’est fixé: si on
décide de ce qu’on peut faire uniquement sur la base de ce qu’on a, on a
toutes les chances de réussir. Ainsi si je dois préparer un dîner pour
mes amis, je peux soit viser haut et essayer d’organiser une soirée
brésilienne compète avec orchestre de Salsa, mais avec une très forte
chance que quelque chose se passe mal, ou je peux décider de faire des
pâtes avec du ketchup que je trouve dans mon frigo. Ça ne sera sans
doute pas la soirée gastronomique du siècle, mais je suis certain au
moins que mes amis ne repartiront pas le ventre vide. On échange donc
l’ambition élevée avec un risque fort d’échec pour une ambition en lien
avec ce qu’on est certain de savoir faire, et donc avec une grande
chance de réussite. Au-delà de l’univers de la restauration, une telle
approche est particulièrement pertinente en situation de forte
incertitude où l’ambition peut viser complètement à côté de la plaque
très facilement.
Manque d’ambition? Small is big!
On objectera naturellement qu’une telle approche manque d’ambition.
En un sens, c’est exact et c’est même son principe de fonctionnement.
Moins d’ambition, plus de réussite. Mais cette objection tient souvent
au modèle mental qui la sous-tend, selon lequel on pense que pour
réussir grand il faut viser grand d’entrée de jeu. Autrement dit que
l’ampleur du succès final dépend de l’ambition initiale. Or une telle
croyance est infirmée par de nombreux exemples. Non seulement il n’y a
presque aucune relation entre les deux, et la plupart des très grandes
entreprises ont commencé très modestement, mais on peut même défendre
l’idée que commencer et avancer par petites touches accroît ses chances
de réussite: au lieu de viser un big bang hypothétique et très
risqué et de se glorifier ensuite d’un noble échec qui fera l’admiration
des autres pour le reste de notre vie, il vaut sans doute bien mieux
avancer de petite réussite en petite réussite: l’échec, s’il survient,
se fera sur une petite avancée, en perte acceptable, et nous laissera
donc en vie pour permettre de tenter une autre avancée. Small is big! Le
principe de rester en vie permet ainsi au processus effectual de
générer de nouveaux buts modestes (relativement à celui qui se les fixe)
et viables en continu. En un sens, l’échec du processus en général
n’est plus une option.
Ce n’est pas romantique, ce qui n’est pas plus mal lorsque le romantisme des autres est payé par vous, mais ça marche.
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