Guy Gweth (CAVIE) : « Il est urgent que des dispositifs de veille et d’intelligence voient le jour dans nos États »

 

(Investir au Cameroun) - Conseil, formation… Guy Gweth a dédié sa carrière à la promotion de l’intelligence économique (IE) en Afrique. Depuis 2015, il est à la tête du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE) consacré à cette cause. Basé à Yaoundé au Cameroun, le CAVIE organise depuis 2022, le Festival de l’intelligence économique francophone (FIEF). Il s’agit d’une rencontre annuelle des experts et passionnés de l’IE ayant en partage le français. La première édition s’est tenue à Djerba en Tunisie, en marge du 18e Sommet des chefs d’États et de gouvernements des pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Et la seconde est prévue à Yaoundé le 2 novembre 2023 en prélude à la 43e session de la Conférence ministérielle de la Francophonie prévue dans la capitale camerounaise les 3, 4 et 5 du même mois. Commissaire de cet événement, Guy Gweth présente ses contours et objectifs. Il fait par ailleurs une évaluation de son action sur le continent.  

Investir au Cameroun : Vous avez coutume de dire que l’intelligence économique (IE) permet de défendre, d’attaquer, d’influencer ? Comment ?

Guy Gweth : Absolument. La communauté de l’intelligence économique africaine réunie au sein du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE) se considère comme le glaive et le bouclier des économies africaines. En qualité de bouclier, notre devoir est de contribuer à la sanctuarisation de nos patrimoines, le plus sensible étant informationnel. C’est l’aspect défensif. En qualité de glaive, notre mission est d’aller cueillir le feu partout où il se trouve, par la veille et l’investigation, pour le ramener et l’adapter à nos territoires. On gagne ainsi des années de recherche et développement, mais aussi des parts de marché. C’est l’aspect offensif. Enfin, parce que défendre et attaquer sont régis par des normes et travaillés par des émotions, croyances et autres perceptions, il faut alimenter les processus décisionnels institutionnels, individuels et collectifs. Cela passe par le lobbying et la production de connaissances diverses. C’est l’influence. Voilà comment nous les déclinons.

IC : Néanmoins, tous les coups ne sont pas permis…

GG : Les activités des membres du CAVIE sont régies par un code d’éthique téléchargeable sur le site de l’organisation. Document à accès libre, il peut donc être consulté par tous ceux qui le souhaitent. Il fixe le cadre de nos missions, précise les limites à ne pas franchir et détaille nos valeurs. Un de nos membres vient-il à enfreindre ce code ? Nous en tirons les conséquences. Et cela s’est déjà produit.

La situation est plus délicate lorsqu’un concurrent entrant sur les marchés africains arrive avec un autre état d’esprit, le plus souvent prédateur. Pour un tel acteur, tous les coups sont permis. Dans ces cas de figure, nous empruntons aux techniques de guérilla pour avoir l’agilité de contenir l’assaillant dans le respect des normes locales et des bonnes pratiques professionnelles. Cela est certes moins aisé dans la pratique qu’en théorie, mais c’est l’une des raisons d’être d’une organisation structurée telle que le CAVIE.

IC : Vous avez justement créé en 2015 le Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE) avec notamment pour objectif de promouvoir les bonnes pratiques en matière d’IE sur le continent. Une dizaine d’années plus tard, quel bilan pouvez-vous faire ?

GG : Après 8 années d’existence, nous avons le choix entre voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. À moitié plein, nous pouvons nous estimer heureux d’avoir formé plusieurs centaines de cadres et décideurs du public et du privé. Nous avons installé des dispositifs de veille, d’intelligence économique et de due diligence au sein des institutions étatiques, des compagnies privées et des organisations patronales. Nos références sont publiques et consultables sur le site du Centre.

Il est temps que l’Union africaine trouve dans un organe supranational dédié, le glaive et le bouclier indispensables à la compétitivité du bloc Afrique en général et de la Zone de libre-échange continentale africaine en particulier.

Voir le verre à moitié vide nous renverrait à une kyrielle de failles qu’il serait inconvenant, voire traitre, d’exposer dans la presse. Pour autant, il suffit d’observer attentivement les adresses électroniques de nos dirigeants pour se faire une idée de l’ampleur de la tâche qu’il nous reste à exécuter. À l’arrivée, quel que soit l’angle d’analyse, force est de reconnaître que nous travaillons sur un temps long où la patience et la real politik nous obligent.

IC : Juste après le lancement du MBA « Intelligence économique et marchés africains » en France et en Tunisie, vous avez dévoilé, en 2018, 35 formations courtes et spécialisées. 5 ans plus tard pensez-vous que les Africains sont mieux préparés à la guerre économique ?

GG : La réponse est un non clair et sans nuance au moment où nous réalisons cette interview. Car, pour pertinente, enthousiasmante et exponentielle qu’elle soit, l’action du CAVIE fait l’effet d’une bouteille à la mer. La guerre économique est beaucoup trop sérieuse pour être laissée entre les mains d’une association non gouvernementale, fût-ce le CAVIE. Nous traçons la voie avec des moyens insignifiants pour la taille et les enjeux de notre continent. Il est urgent que des dispositifs nationaux de veille et d’intelligence voient le jour dans nos États. Il est temps que l’Union africaine trouve dans un organe supranational dédié, le glaive et le bouclier indispensables à la compétitivité du bloc Afrique en général et de la Zone de libre-échange continentale africaine en particulier.

IC : Depuis 2022, le CAVIE organise le Festival de l’intelligence économique francophone (FIEF). Doit-on comprendre qu’il y a une approche francophone de l’IE ? Si oui qu’est-ce qui la caractérise ?

GG : Assurément. L’approche francophone de l’intelligence économique n’est certes pas encore formalisée, mais nous travaillons à en dessiner les contours et les lignes de forces au vu des objectifs de la Francophonie économique. Cette approche, comme chaque fois qu’il faut s’incarner intelligemment, se caractérise par ses emprunts au contexte, à l’histoire, à la culture, aux valeurs et aux objectifs de compétitivité de la Francophonie économique.

IC : Au fait, à quel besoin répond cette autre initiative ? Et que peut-elle apporter aux entreprises et États africains ?

GG : Le besoin est double au niveau du CAVIE, initiateur de ce festival. En amont, figure le besoin d’encourager les autorités compétentes à clarifier, voire à quantifier de manière précise, les objectifs de la Francophonie économique. Les acteurs économiques africains, qui disposent, plus que jamais, d’un large éventail de choix, ont besoin de le savoir, d’apprendre des meilleurs et de s’aguerrir pour se positionner en vue de gagner. C’est vital pour un continent qui compte 30 États francophones sur 54. Je rappelle qu’au quatrième trimestre 2022, les pays de l’espace francophone affichaient un stock cumulé de 5 693 milliards USD d’investissements étrangers directs, soit 13% de l’assiette mondiale. 

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