Pourquoi ne remportez-vous jamais les appels d’offres ?

Vous avez déjà raté des appels d’offres sans comprendre pourquoi, et alors que votre proposition vous semblait être la meilleure ? La raison est simple : l’offre présentée n’est pas la seule à entrer en ligne de compte dans le processus de décision du client.

Par Bernard Cova
(HBR France) Quand une entreprise reçoit un appel d’offres, elle s’empresse généralement d’élaborer une proposition gagnante en temps voulu. Des heures de travail d’ingénieurs, mais aussi de financiers, de juristes, sans oublier les efforts de partenaires extérieurs, sont alors nécessaires pour répondre dans un court délai à la demande du client. Pourtant, très souvent, cela ne sert à rien et l’entreprise n’est pas retenue. C’est qu’en réalité, l’appel d’offres est plus une opportunité de dépenser du temps et de l’argent en pure perte que de gagner une affaire.
Les travaux de recherche ayant analysé de nombreux appels d’offres passés ont montré qu’une entreprise n’a presque aucune chance de l’emporter si elle découvre
l’affaire au moment où elle reçoit l’appel d’offres. Dans ce cas, en effet, le cahier des charges a largement été influencé, sinon construit conjointement, par un ensemble d’acteurs en relation avec le client bien avant le lancement de la procédure. L’appel d’offres ressemble alors à un rituel bien huilé : c’est le fournisseur le mieux coopérant qui est retenu, c’est-à-dire celui qui a agi le plus par anticipation auprès du client. Les fournisseurs dits moins disant (meilleur prix) et mieux disant (meilleure offre) ne sont que des lièvres dans cette course au contrat.

Double demande

Attention, cela ne veut pas dire que la majorité des appels d’offres privés comme publics sont biaisés pour des raisons de corruption ou de collusion ; la raison est bien plus prosaïque. Un bon acheteur, qu’il soit privé ou public, a besoin de satisfaire une double demande : acheter la meilleure offre au meilleur prix et travailler avec le fournisseur le plus fiable et impliqué. Si le premier point relève bien de la procédure d’appel d’offres, le deuxième point dépend d’un long processus d’interaction entre client et fournisseur qui échappe à la logique de l’appel d’offres. Pour être sûr de la fiabilité et de l’implication d’un fournisseur, mieux vaut déjà avoir travaillé avec lui. Ce qui pousse à une relative stabilité dans le choix du fournisseur : le mieux coopérant est le fournisseur avec qui le client est déjà en relation. Il ne reste plus qu’à l’acheteur à guider ce fournisseur dans la proposition de la meilleure offre. Ce qui est, en général, réalisé plus ou moins consciemment tout au long du processus de l’appel d’offres .
D’abord, en amont du lancement de l’appel d’offres, l’acheteur prend conseil auprès de son fournisseur habituel pour rédiger certaines parties du cahier des charges quand il ne l’invite pas carrément à venir rédiger avec lui l’ensemble des spécifications relatives au projet d’achat. Cela est d’autant plus le cas que la plupart des clients ne possèdent plus les compétences techniques requises en interne pour réaliser cette tâche. Bien sûr, l’acheteur peut s’appuyer sur un ingénieriste ou un consultant réputé indépendant, mais, celui-ci, lui aussi, s’en remet habituellement au fournisseur, le seul qui détient des compétences pointues et actualisées sur le sujet, pour écrire les spécifications de son client. L’acheteur lance ensuite l’appel d’offres avec un ensemble de spécifications qui sont loin d’être neutres puisqu’elles sont très proches de tel ou tel fournisseur.

Et si les dés étaient pipés d’avance ?

Ensuite, dans la phase dite de short list qui met en concurrence les trois meilleures offres reçues, l’acheteur a encore la possibilité de tourner le jeu dans le sens qu’il désire : on retrouve alors le fournisseur le mieux coopérant mais aussi le moins disant et le mieux disant. Tout le travail de l’acheteur est d’amener le mieux coopérant à rapprocher son offre technique de celle du mieux disant et son offre économique de celle du moins disant. Ainsi l’acheteur réalise l’optimum : la meilleure offre proposée par le meilleur fournisseur ! Comment y parvenir ? En distillant des informations sur les offres concurrentes au seul fournisseur mieux coopérant, établissant ainsi une asymétrie d’informations à son avantage qui lui permet, au final, de proposer la meilleure offre
Ceci étant, il ne faut pas croire que tout est laissé à l’initiative de l’acheteur et que le fournisseur mieux coopérant comme les autres sont passifs dans l’histoire. Les démarches aux noms évocateurs de « marketing amont », « marketing d’affaires », « marketing de projet » et autres fleurissent pour pousser les fournisseurs à agir en anticipation et non en réaction aux appels d’offres. Dans ces démarches, il est prôné que la meilleure stratégie d’offre est la construction de la demande. C’est-à-dire qu’il ne sert à rien de dépenser beaucoup d’efforts pour réaliser une superbe proposition une fois reçu le cahier des charges ; mieux vaut préparer le terrain bien avant le lancement de l’appel d’offres pour accompagner le client dans la conceptualisation de son problème, de son besoin et de ses spécifications. C’est là un investissement bien plus rentable que de se répandre en une multitude de soumissions à des appels d’offres non anticipés.

Agir seulement s’il y a une brèche possible

Comment ces stratégies d’anticipation des appels d’offres de la part des fournisseurs se marient-elles ou contrastent-elles avec la volonté de l’acheteur ? Dans un premier cas de figure, le plus fréquent, le fournisseur mieux coopérant et l’acheteur marchent main dans la main et se jouent des autres acteurs en présence pour optimiser les bénéfices mutuels de leur relation malgré la dimension concurrentielle de la procédure d’appel d’offres. Dans un deuxième cas, l’acheteur veut conserver le fournisseur mais celui-ci ne fait pas les efforts attendus ; l’acheteur ouvre alors la porte aux autres fournisseurs pour tester leurs capacités à travailler avec le client. Dans un troisième cas, le fournisseur mieux coopérant pense que l’appel d’offres ne va pas remettre en cause sa position quand l’acheteur, lui, a pour des raisons diverses (changement organisationnel ; nécessité d’une deuxième source ; prix cassés de nouveaux fournisseurs ; mauvaise expérience récente avec le fournisseur en place), envie d’essayer un nouveau fournisseur.
Quand l’on n’est pas avec un client dans une situation de fournisseur mieux coopérant, il faut donc savoir déchiffrer l’agenda caché, comme disent les anglophones, derrière les spécifications de l’appel d’offres. Si la tendance est au maintien du fournisseur mieux coopérant, mieux vaut économiser ses ressources. Si, par contre, on sent une certaine incompatibilité entre l’acheteur et ce fournisseur, l’appel d’offres est l’occasion de modifier les positions. Il faut donc investir en montrant par tous les moyens au client potentiel que l’on sera un partenaire fiable et passionné. Mais attention aux fausses informations, l’acheteur peut faire croire à un flou dans sa relation avec le fournisseur mieux coopérant juste pour que les autres fournisseurs jouent mieux le jeu de l’appel d’offres et en dévoilent plus sur leurs offres pour ensuite en faire profiter son favori. On évalue à 25% la part du transfert de technologie réalisée entre un fournisseur et un client, puis son fournisseur en place, par le processus d’appel d’offres – surtout en phase de short list – même si le fournisseur n’est pas retenu au final.

Devenir à votre tour le mieux placé

Si vous n’avez jamais remporté d’appel d’offres, c’est que vous foncez tête baissée dans toutes les soumissions demandées sans analyser le jeu relationnel en place et sans connaître l’agenda caché du client. Il vous faut être sélectif dans les appels d’offres. Le premier principe de sélection est d’agir que dans le cas où il existe une possibilité d’ébranler le jeu en place entre le client et son fournisseur mieux coopérant. Le deuxième principe est d’agir en anticipation et de ne pas attendre l’appel d’offres pour rentrer dans le jeu. Le troisième et dernier principe est d’investir du temps et de l’argent dans le développement de relations dans et autour du client pour vous mettre en position idéale pour devenir mieux coopérant à votre tour.

Bernard Cova, Docteur en sciences de gestion, il est enseignant-chercheur en marketing et sociologie de la consommation à KEDGE Business School. Initiateur des approches tribales du marketing, il est l’auteur d’articles de recherche qui ont fortement influencé le renouveau de la théorie et de la pratique du marketing.

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