Peut-on être un grand leader sans expertise technique ?
Les études comme la pratique le prouvent, on est un bien meilleur leader lorsque connaît son secteur et ses subtilités.
Par Art Markman |
(HBR France) Il est communément admis dans la société et l’enseignement que les
compétences nécessaires pour être un leader sont plus ou moins
transférables. Si vous savez inspirer et motiver les individus dans un
certain cadre, vous devriez pouvoir appliquer ces compétences dans un
autre.
Mais les recherches récentes remettent cette idée en cause à juste
titre. Ces travaux avancent que les meilleurs leaders connaissent bien
le domaine dans lequel ils exercent et qu’une des clés de leur réussite à
un poste de direction est la compétence technique. Par exemple, les
hôpitaux managés par des médecins font mieux que ceux dirigés par des
personnes venant
d’autres horizons. On voit également de nombreux cas
d’individus qui, après avoir efficacement dirigé une entreprise, ont eu
des difficultés à transférer leurs compétences dans une autre société.Compétences mais aussi expertise
Depuis quelques mois, je mène avec un groupe de l’université du Texas une réflexion sur ce que pourrait être une formation au leadership pour nos étudiants.
Les éléments essentiels que les leaders doivent maîtriser font l’objet
d’un large consensus auprès des nombreux établissements qui enseignent
cette discipline : être capable de se motiver soi-même et de motiver les
autres ; savoir communiquer efficacement à l’écrit comme à l’oral ; avoir suffisamment d’esprit critique ; être capable de résoudre des problèmes, de travailler en équipe et de déléguer certaines tâches.
A première vue, cette liste paraît cohérente. Les bons leaders
disposent en effet de ces capacités et si on voulait former de futurs
dirigeants, on aurait raison de s’assurer qu’ils possèdent ces
compétences. Ils doivent absorber de grandes quantités d’informations
et les restituer sous la forme de points essentiels qui résument les
principaux problèmes à résoudre. Pour y parvenir, ils doivent aussi
organiser les équipes de manière optimale et leur expliquer pourquoi il
est important qu’elles partagent une vision commune. Ils doivent établir
un climat de confiance et faire en sorte que cet environnement
favorable pousse chacun à en faire davantage que ce qu’il aurait fait
spontanément.
Mais à elles seules, ces compétences ne font pas un leader car pour
exceller, il faut également une grande expertise dans un domaine précis.
A chaque fois un savoir particulier
Prenons par exemple l’une de ces compétences : avoir suffisamment
d’esprit critique pour comprendre le fond d’un problème. Pour bien
faire, vous devez posséder une expertise technique précise. Le savoir
indispensable à un médecin pour établir un diagnostic diffère des
connaissances nécessaires pour comprendre un blocage politique. Et ces
deux savoirs sont aussi très différents de ce qui est requis pour
négocier un contrat commercial.
Même les règles d’une communication efficace varient d’un domaine à
l’autre. Un médecin s’adressant à un patient doit transmettre les
informations de manière différente d’un homme politique qui réagirait à
une catastrophe naturelle, ou d’un P-DG qui devrait faire face à un
conflit social.
Quand on examine les compétences clés des leaders,
il apparaît vite qu’elles sont étroitement liées aux domaines
d’expertise dans lesquels ces derniers évoluent. Or, ces domaines
d’expertise peuvent être pointus. Même le business n’est pas
une discipline monolithique. Etre un grand leader dans le bâtiment, la
distribution, le conseil ou la fabrication de semi-conducteurs exige à
chaque fois un savoir particulier.
S’entourer d’experts ne suffit pas
Les leaders résolvent en général ce problème en se disant qu’ils
s’entoureront de personnes dotées de l’expertise requise, et qui les
aideront à prendre les bonnes décisions. Mais sans réelle expertise,
comment ces leaders peuvent-ils être sûrs d’avoir identifié les bonnes
personnes, capables de leur donner les bonnes informations ? Un manager
qui n’est pas capable d’évaluer les informations qu’on lui fournit ne
peut pas diriger efficacement.
Cette façon d’envisager le leadership a deux conséquences
importantes. D’abord, lorsque nous formons des personnes au leadership,
nous devons insister davantage sur l’importance du domaine d’expertise.
Ce n’est pas parce que quelqu’un réussit à diriger tel type d’entreprise
qu’il connaîtra le même succès dans une société ayant une mission
différente. Ensuite, lorsque nous formons des personnes à des postes de
direction, nous devons leur apprendre à résoudre des problèmes liés au
contexte qui les attend, pour leur faire assimiler des informations sur
le secteur dans lequel elles seront appelées à diriger. Par exemple, il
ne suffit pas de leur enseigner comment régler des conflits types entre
salariés, nous devons créer des scénarios à partir de cas réels afin de
les confronter à toutes les ambiguïtés qui peuvent surgir, d’un secteur à
l’autre.
Cette question est particulièrement importante aujourd’hui compte
tenu de la fréquence à laquelle les personnes changent d’emploi, voire
de secteur. Cette forte mobilité signifie que de nombreux jeunes
salariés sont susceptibles de ne pas emmagasiner suffisamment
d’expertise dans le secteur où ils travaillent actuellement, ce qui
rendra plus difficile l’exercice de leur leadership. Les entreprises
doivent identifier les leaders de demain et les inciter à rester afin
qu’ils développent les compétences dont ils auront besoin pour diriger.
Art Markman,Professeur de psychologie et de marketing,
il est titulaire de la chaire Annabel Irion Worsham Centennial à
l’université du Texas, à Austin. Il est également le directeur fondateur
du programme The Human Dimensions of Organizations. Il a écrit plus de
150 articles universitaires sur des sujets tels que le raisonnement, […]
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