Afrique-Europe : le prix de la refondation

Marie Claire NNana
Par Marie Claire NNana, Cameroon Tribune, 06-04- 2014 
Au lendemain du Sommet Afrique-Union européenne à Bruxelles, le 4e du genre, qui a choisi de focaliser la réflexion sur les défis sécuritaires, dans l’optique « d’investir sur les personnes » selon le thème de la rencontre, il est bon de revisiter les ressorts de ce vieux couple qui a survécu à bien des tragédies (esclavage, colonisation, indépendances en trompe-l’œil) et surmonté quelques trahisons : la préférence de l’Europe pour sa moitié Est, à la faveur de l’écroulement du mur de Berlin, et les liaisons de l’Afrique avec la Chine, jugées sulfureuses par l’Europe, mais dont aucun Africain ne doute plus du bien fondé. Puisqu’elles ont transformé radicalement l’Afrique, et le regard sur l’Afrique.

Afrique-Europe. Au-delà des contingences historiques, cela reste somme toute une relation utile, disons-le d’emblée. Pour sortir du ghetto de la pauvreté, l’Afrique a besoin de partenaires engagés, sûrs, prêts à partager avec elle leur expérience, leur expertise, leurs technologies, prêts à investir dans l’immense potentiel du continent, non plus dans un esprit de prédation et d’exploitation sauvage, mais dans une vision de prospérité partagée.
Toutes les conditions sont-elles aujourd’hui réunies pour que le couple Europe-Afrique s’inscrive dans une nouvelle vision, plus pragmatique, sans complexes et sans préjugés, qui postule enfin que l’Afrique n’est plus un comptoir colonial, mais une terre de possibilités convoitée par beaucoup, tandis que l’Europe n’est plus son tuteur, mais un partenaire stratégique, un allié.
Côté africain, malgré les professions de foi déclamées à Bruxelles sur le renouveau de cette relation, on est encore loin de ce cadre idyllique. Ne serait-ce que parce qu’on présente face au partenaire européen, non pas une institution, mais des Afriques aux egos surdimensionnés, qui ne parlent presque jamais d’une même voix.
A la vérité, l’impossibilité d’impulser des échanges économiques plus vigoureux à l’intérieur du continent, d’ouvrir les frontières et les barrières douanières, ne serait-ce que dans le cadre des grands blocs sous-régionaux existants, l’incapacité de faire fonctionner efficacement les unions économiques et monétaires, l’harmonisation à pas de tortue des lois et règlements pour créer un environnement juridique commun, constituent incontestablement une grande faiblesse pour l’Afrique. Face à une Europe intégrée depuis longtemps, qui a ses querelles intestines, mais qui sait parler d’une voix pour défendre ses intérêts, l’Afrique ne fait pas le poids et ne peut rêver dans ces conditions ni d’infléchir quelque décision que ce soit, ni de réorienter la relation.
Bien plus, l’analyse des Africains sur cette relation avec l’Europe souffre trop souvent encore d’angélisme. Privilégiant les relations interpersonnelles entre dirigeants des deux bords, mais aussi les liens historiques et tous les bons sentiments qu’ils charrient, ils « oublient » qu’étant en position de courtisée face aux courtisans, ils peuvent fixer les règles de ce nouveau partenariat ou tout au moins les limites. S’ils savent construire de vraies démocraties où l’intérêt général prime, et où la transparence de gouvernement est établie. Côté Europe, peut-être gagnerait-on à être plus clair sur ses intentions et à ne pas toujours couvrir d’un voile pudique le désir légitime de rejouer en Afrique les premiers rôles. Le week-end dernier à Bruxelles, le vice-président de la Commission européenne était bien le seul à appeler le chat par son nom, lors d’une interview accordée à une chaîne de télévision africaine : « l’Afrique parle les mêmes langues que nous. Nous n’allons pas la laisser aux mains de la Chine ! » Soit. Mais l’Europe est-elle prête à refonder ce partenariat ? Trop souvent, le dialogue avec l’Afrique est souvent parasitée par une obsession missionnaire, qui tente régulièrement d’imposer « les droits de l’hommisme » et l’homosexualité aux Africains, y compris en en faisant une conditionnalité de l’aide au développement…
Solder le passé, c’est affronter ses fantômes. A la première rencontre entre les deux continents, les Européens furent tout près de claquer la porte, parce qu’ils ne supportaient pas que les Africains évoquent deux sujets qui fâchent : le dédommagement pour les décennies d’exploitation coloniale, et le retour en Afrique des monuments culturels « volés »…
Certes, l’Afrique est revenue sur cette double exigence, mais l’Europe est-elle prête à regarder sans ciller les nouveaux spectres qui hantent le présent, tels que les conditions d’équité des accords de partenariat économique, le transfert des technologies, la création d’une monnaie (ou de plusieurs) africaine, la compétitivité des entreprises et technologies européennes face à celles de l’Est asiatique, pour assurer à moindre coût le développement de l’Afrique ?
En un mot comme en cent, il est primordial que les mentalités évoluent, de part et d’autre de la Méditerranée. Car si l’Europe a changé, l’Afrique n’est pas restée non plus la même. Les nouvelles élites du continent noir, qui sont de plus en plus formées sur place, mais aussi en Amérique du Nord et en Asie, sont de plus en plus attentives à la place et à la considération qui sont données à l’Afrique, dans un monde où elle pense avoir toute sa place. Elles savent que l’Afrique est à la croisée des chemins, que malgré la croissance économique en hausse, il subsiste d’énormes poches de pauvreté et des inégalités criantes. Dans ce contexte, elle a besoin de financements, de brevets, et de partenaires au développement dont la qualité déterminera le sort de son combat contre la pauvreté.
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